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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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30 juillet [1848], dimanche matin, 7 h. ½

Bonjour, mon Toto bien aimé, bonjour, comment vas-tu ce matin ? As-tu un peu pensé à moi hier ? Ce serait de l’ingratitude d’en douter puisque tu m’avais promis de parler à Pradier pour cette triste chose [1].
Sois béni, mon Victor, pour cette pieuse action, sois béni, pour tout le bien que tu fais, pour tout le bonheur que tu m’as donné et pour l’amour sans borne que j’ai pour toi. Je voudrais te donner toutes les joies, tous les rayons, tous les sourires, tous les bonheurs et garder pour moi seule tout ton cœur. Tu vois que mon ambition n’est pas mince et qu’elle suffit bien à remplir toute ma pensée, toute ma vie et tout mon cœur.
Je me réjouis dans l’espoir que je resterai avec toi tantôt un peu plus que d’habitude. Je voudrais déjà y être au risque d’en être ensuite au regreta de te quitter. J’ai hâte de te voir, de t’entendre, de savoir si tu as pensé à moi et si tu m’aimes. J’éprouve une sorte d’impatience fiévreuse tant que je ne t’ai pas vu. Mes genoux, mes pieds, mes mains s’agitent comme pour pousser un obstacle devant eux, tandis que ma pensée et mon âme font des efforts pour faire avancer les heures. Tout mon être travaille extérieurement et intérieurement pour te voir plus tôt. Moi je t’adore.

BnF, Mss, NAF 16366, f. 265-266
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette.

a) « aux regrets ».


30 juillet [1848], dimanche matin, 11 h. ¾

Je vais te voir bientôt, mon cher petit homme, et j’en suis bien heureuse. Je vais donc enfin me plonger dans ton regard, me suspendre à ton cher petit bras, te dévorer des yeux et te baiser en chair et en os comme un Toto adoré que tu es. Je t’ai acheté 2 paires de gants ravissantes hier chez la mère Sauvageot et sur lesquelles je t’ai gagné 1 franc. Si j’avais été sûre de la trouver chez elle, j’aurais pu t’épargner 10 autres sous pendant qu’on te rasait mais j’ai craint le hasard qui en général ne m’est rien moins que favorable. À propos de hasard, tu vois que Mme Dorval n’a pas encore abusé de la permission que je lui ai donnéea puisqu’elle n’est pas venue du tout [2]. J’avais accueilli avec assez de sagesse son empressement, plutôt simulé que vrai, pour ne pas l’encourager à faire des frais de visites inutiles. Peut-être même ne viendra-t-elle pas du tout mais dans tous les cas je suis plus que jamais sur mes gardes et sa curiosité, si elle en a, ne trouvera pas à se satisfaire chez moi. Qu’as-tu fait depuis que je t’ai quitté hier, mon petit homme, outre les choses que je sais ? As-tu pensé à moi, m’as-tu aimée, m’as-tu regrettée, m’as-tu plainte ? Moi j’ai été bien triste, bien malheureuse, bien jalouse, bien inquiète, bien amoureuse et bien tendre. Je t’ai souhaité beaucoup de bonnes choses à manger, beaucoup de vieilles femmes laides à regarder, beaucoup d’adorateurs et pas du tout d’adorateuses. Ai-je été exaucée ? Je n’ose pas l’espérer. Vous me direz cela tantôt. En attendant je vous baise à outrance.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16366, f. 267-268
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

a) « la permission que je lui ai donné ».

Notes

[1À la mort de sa fille Claire, James Pradier a fait la promesse de lui sculpter un monument funéraire. Il décèdera en 1852 sans avoir accompli son serment.

[2« D’ailleurs rien ne me prouve que Mme Dorval donne suite à notre reconnaissance d’hier et si elle le fait ce sera tout au plus une fois ou deux. » (Lettre du 27 juillet 1848, jeudi matin, 8 h. ½.)

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