17 janvier 1846

17 janvier [1846], samedi soir, 6 h. 

Je t’ai bien fait mal n’est-ce pas mon pauvre adoré ? Quand je te dis que je suis la plus maladroite et la plus malencontreuse des femmes, tu vois que je ne me vante pas. Encore si tu n’étais pas parti sur cette impression peu agréable… Maintenant Dieu sait quand je te reverrai. Décidément je suis bien malheureuse. Tantôt je désirais qu’il fût six heures du soir pour te voir, à présent je souhaite qu’il soit minuit pour t’avoir. Je passe mon temps à te désirer et à te regretter et dans tout cela j’ai à peine quelques minutes pour t’aimer en chair et en os. C’est bien chesse mais je reconnais que tu ne peux pas être avec moi davantage. Trop heureuse si tu m’aimes loin de moi, si tu me plains et si tu me regrettes. J’ai beau te demander de la copie, tu ne m’en donnes pas. Cependant tu en avais de prête, celle que tu as lue à ta famille. Je ne voudrais pas te tourmenter et encore moins t’ennuyerª et cependant je voudrais avoir de quoi me faire prendre patience pendant mes longues soirées. Si tu pouvais trouver le moment de m’apporter cette bien heureuse copie, tu me ferais bien plaisir. Dans le moment où tu lis ce gribouillis par exemple, ne l’achève pas. Tu sais d’avance ce qu’il y aura à la fin comme tu savais ce qu’il y aurait en commencement. Mon amour est monotone à force de t’aimer. Voici ma grande fillette, mais avant de l’embrasser je veux te donner des millions de baisers.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 53-54
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

a) « t’ennuier ».