14 août [1841], samedi matin, 11 h. ¾
Bonjour cher Toto chéri, bonjour mon amour bien-aimé, bonjour toi que j’aime. Pourquoi n’es-tu pas venu ce matin, mon Toto ? Voilà bien longtemps que tu ne viens plus, est-ce que tu m’aimes moins ? Je sais bien que tu travailles mais il serait bon aussi que tu prisses quelque repos et que tu me donnassesa quelque bonheur. Si tu savais, mon pauvre bien-aimé, comme c’est long une nuit et une journée sans te voir, tu ne me laisserais pas si souvent seule. Avec cela je vois l’époque de notre voyage reculer toujours à l’horizon d’une manière désespérante car je sais bien que chaque jour de retard est un jour perdu pour notre bonheur [1] parce que tu reviens à Paris presque à l’époque fixe [2]. Tout cela ne m’encourage pas, bien au contraire, et j’ai des moments de désespoir atroce. Encore si tu m’apportais à copier tous les jours ce serait, sinon une consolation entière, du moins un calmant mais tu mets entre chacunb des intervalles tuants, si bien que je suis aujourd’hui au bout de mon courage [3]. Je t’aime trop, mon amour. J’aurais besoin de beaucoup de patience et de sang-froid, ce qui ne s’accorde guère avec un amour effréné. Je t’aime trop et toi pas assez. Tâche de venir, je t’attends, je t’adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16346, f. 147-148
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « donnasse ».
b) « chaqu’une ».
14 août [1841], samedi soir, 9 h.
Je ne t’avais pas encore écrit la seconde lettre, mon amour, lorsque tu es venu t’installer si gentiment à ma table à écrire. Depuis que tu es parti, j’ai lu la suite de l’histoire de Pécopin qui, par parenthèse, devient de plus en plus ravissante et que je grille de connaître toute entière. J’ai compté ma dépense et me voici avec ma pendule qui avance d’une demi-heurea [4]. Dès que j’aurai rempli cette feuille je copierai à mort et pour être plus à mon aise je me déshabillerai parce que ça me gêne un peu d’écrire avec un corset, surtout que je n’en ai pas l’habitude.
Je suis joliment contente que mon pauvre Toto ait un prix ; ce pauvre petit bien-aimé, je ne pouvais pas penser à son chagrin sans me sentir une douleur au cœur [5]. C’est, avec Dédé, mon enfant de prédilection, quoique je les aime tous de tout mon cœur, mais je suis forcée d’avouer mon faible pour ces deux là. Donc il a un prix. J’en suis bien aise, beaucoup plus que de ne pas aimer les épinards quoique ce soit le légume que les femmes préfèrent, à votre dire, scélérat [6]. Tâchez de ne pas trop vous faire attendre ce soir. Je vais me déshabiller et copier mais je ne serais pas fâchée de vous voir très tôt.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16346, f. 149-150
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « demie heure ».