13 août [1841], vendredi, midi ½
Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour mon chéri. Apporte-moi ton cher petit bec à baiser et de la copie pour ma journée. Je suis toute prête, toutes mes affaires sont faites, je n’ai plus qu’à déjeuner. Je n’ai plus de sirop non plus mais si tu m’en crois, mon amour, nous n’en achèterons plus [1]. Je ne crois pas qu’il y ait au monde une dépense moins utile que celle-là et que je regrette davantage. Cependant je ferai ce que tu voudras et c’est pour cela que je t’avertis que je n’en ai plus à dater d’aujourd’hui.
Je voudrais bien savoir comment a été la représentation d’hier [2] ? Je n’ose pas te demander de m’y mener ce soir, je te sais trop accablé d’affaires et d’ennuis de toutes sortes pour y ajouter cette obsession. À preuve que je ne te le demande pas et que je n’y compte pas, c’est que je ne me coiffe pas et que je ne m’habille pas. Si tu m’apportes à copier je serai la plus heureuse des femmes, si non je raccommoderaia mes zaillons.
Je t’aime, mon Toto, mais je suis jalouse comme un chien. C’est qu’aussi vous devenez trop coquet et que vous êtes toujours de plus en plus beau, ça n’est pas juste [3].
Juliette
BnF, Mss, NAF 16346, f. 143-144
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « racommoderai ».
13 août [1841], vendredi après-midi, 3 h. ½
Hé bien, je vous attends, mon adoré, c’est peut-être pour cela que vous vous dépêchez de ne pas venir. Vous êtes un vilain monstre de Toto que je voudrais bien de tout mon cœur ne pas aimer si c’était possible. Malheureusement il me serait plus facile de vivre sans cœur que sans mon amour pour vous, il faut donc que je me résigne à vous adorer et à enrager jour et nuit.
Il fait bien beau temps aujourd’hui, mais j’espère que loin de nuire à la recette de ce soir cela la favorisera parce qu’il ne fait pas trop chaud et qu’il y a beaucoup de gens que la pluie effarouche. Nous verronsa si mes pronostics sont bons mais je le désire et je le crois. Demain, jour de sabbat, la recette est sûre à la Porte Saint-Martin. Je ne me suis jamais tant inquiétéeb de l’argent, mon adoré, que depuis que je t’aime et que je sais avec quelle peine tu le gagnes et avec quelle générosité tu le donnes à tousc ceux qui en ont besoin. Aussi, si cela dépendait de moi tu serais riche, riche, riche et sans la moindre peine que celle de te promener avec moi partout où il y a du soleil, la mer, des arbres, des fleurs et des vieilles églises. Hélas ! l’argent me manque et je ne peux que vous aimer à millions et à milliards comme une pauvre Juju que je suis. Tâchez de venir bientôt.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16346, f. 145-146
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « verron ».
b) « inquiété ».
c) « tout ».