10 octobre [1847], dimanche matin, 7 h. ¾
Est-ce que cette nuit a été aussi terrible que l’autre, mon pauvre adoré ? [1] Qui avais-tu avec toi pour t’aider et te seconder dans les soins à donner à ta pauvre bien-aimée femme ? J’ai le cœur navré en pensant à vous tous. Je ne sais plus ce que je fais, ce que je dis et ce que je pense. Je sens vos souffrances toutes ensemble et il me semble que j’ai en moi un abîme de douleurs. Tu as bien fait de ne pas revenir cette nuit. Quellea que soit l’inquiétude que me donne ton absence tu feras bien de ne pas quitter ta pauvre femme tant qu’elle aura besoin de tes soins. Il me semble qu’en offrant au bon Dieu mes propres souffrances j’obtiendrai de lui autant d’heures et de jours de délivrance. Cette pensée me soutient et me donne du courage pour attendre la guérison de ta noble et excellente femme. Puisse cette cruelle épreuve être pour vous tous et pour moi la dernière je le demande au bon Dieu avec toute ma foi et toute ma confiance. J’ai fait prévenir Joséphine, je pense qu’elle va venir et je l’enverrai tout de suite savoir comment s’est passéeb la nuit. Si je n’écoutais que mon impatience j’irais moi-même. Mais je veux être prudente et courageuse jusqu’au bout dans l’espoir d’être plus tôt exaucée dans mes vœux. Mon Victor adoré, mon pauvre éprouvé, mon cœur saigne en pensant à tout ce que tu souffres. Je baise ton beau front pour y rappeler la sérénité, ta bouche pour y poser le sourire, ton cœur pour lui donner la force, le courage et la confiance. Je t’envoie mon âme tout entière pour en faire ce que tu voudras.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16365, f. 228-229
Transcription de Yves Debroise assisté de Florence Naugrette
a) « quel ».
b) « passé ».
10 octobre [1847], dimanche après-midi, 1 h.
Merci, mon Dieu, merci de la bonne nouvelle. L’épreuve [2] pour avoira été cruelle n’aura pas duré aussi longtemps que je le redoutais. Ô merci, merci, mon Dieu. Depuis que Joséphine est revenue de chez toi j’ai le cœur allégé d’un poids immense. Il me semble que tout me sourit, que le soleil est plus joyeux, l’air plus pur, mon jardin plus vert et mes petits oiseaux plus heureux. J’espère te voir tantôt, mon Victor, et pourtant il vaudrait mieux pour toi profiter de ce moment de tranquillité pour prendre un peu de repos dont tu dois avoir tant besoin. J’aurai du courage pour t’attendre, mon Victor adoré, maintenant que je sais que ta pauvre bonne femme va mieux et qu’elle est hors de danger. Repose-toi, soigne-toi, jouis de ta sécurité et de ton bonheur, mon tour viendra après. Vois-tu, mon bien-aimé, je peux te dire, maintenant que tes plus cruelles angoisses sont dissipées, tout ce que j’ai souffert moi-même depuis deux jours. Va j’ai bien acheté à Dieu dans ces deux tristes jours le droit de t’aimer toute l’éternité sans offenser ta digne et excellente femme. Plus tard, quand nous ne serons tous que des âmes, je pourrai prendre légitimement ma place au milieu de vous tous. En attendant je partage toutes vos souffrances sur la terre, demandant pour toute faveur au bon Dieu de me faire la part la plus grosse et de diminuer d’autant la vôtre ; je crois cette fois que j’ai réussi. Aussi je dis du fond du cœur : merci, mon Dieu, merci. Et à toi, mon adoré, bon courage, bonne joie et tous les bonheurs de ce monde.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16365, f. 230-231
Transcription de Yves Debroise assisté de Florence Naugrette
[Souchon, Massin]
a) « pourra avoir ».