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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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11 mars 1843

11 mars [1843], samedi matin, 10 h. ½

Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour mon Toto adoré, comment vas-tu ce matin ? As-tu dormi un peu, mon pauvre ange ? Je suis tourmentée quand je pense à ce que tu fais, mon Toto, j’ai peur que tu ne succombes à tant de fatigue. Je voudrais pour tout au monde que ta pièce soit à la trentième représentation parce qu’alors tu serais tranquille et nous serions peut-être heureux. Pour moi le bonheur, c’est de te voir, le paradis, c’est de t’aimer ; mais t’aimer par toute seule comme un pauvre chien oublié dans sa niche, t’aimer ton cœur contre mon cœur, ta bouche sur ma bouche. Voilà comment j’entends l’amour et depuis trop longtemps. Je ne t’ai pas aimé ainsi. J’ai hâte que toutes ces fanfaresa soient finies et que nous rentrions dans un bonheur plus intime et moins bruyant. Je ne suis pas aussi désintéressée que le vieux Job [1], moi, je t’aime pour moi et non pour les autres. Enfin mon pauvre adoré, nous touchons au moment du repos, il faut l’espérer pour toi qui en as tant besoin.
J’ai ma péronnelle [2] qu’on m’a amenée ce matin. Il paraît que cette sortie en Carême ab contrarié Mme Marre. J’en suis fâchée pour les scrupules de cette dame, que je comprends du reste. Mais je suis sûre que d’entendre les plus admirables choses qui se soient jamais entendues depuis qu’il y a des oreilles humaines n’est pas un péché et je nous en donne d’avance l’absolution. Voilà mon opinion à ce sujet.
Je n’ai pas pensé à te demander si tu souperais ce soir ? À tout événement j’ai fait prendre un bifteckc et des choux-fleurs, ainsi ne te gêne pas quand tu viendras tantôt, car j’espère que tu viendras. Je te demanderai où sera Charlot ce soir, je tiens beaucoup à le voir fonctionner ce petit bandit ! Il est probable qu’il ne sera plus à l’orchestre des musiciens, c’est probable. Alors je ne pourrai pas le voir, c’est fâcheux. Il y aurait cependant plaisir et joie pour moi à le voir montrer le poing au siffleur de Maxime pourvu que j’aie encore un autre [Léménil  ?] sous ma loge. Ce sera une compensation, si non au plus que du moins aux ZURLEMENTS. C’est un spectateur bien précieux dans des occasions comme celle-ci. Enfin je prendrai ce qui se trouvera, quitte à lui dire le mot de Didier [3]  et à lui casser nos petits bancs sur la tête. J’y suis très décidée et Clairette aussi. Il paraît que le M. de Saint-Mandé qui a 8000 F de rentes a été transporté et fou de joie de ta lettre et de sa loge. Claire ne sait rien encore de la représentation parce que la petite fille du maire qui rapporte les nouvelles n’est pas revenue depuis à l’école. M. Marre est comme un possédé, il lit tous les journaux admiratifsd et il revient le soir sachant les citations de ta pièce par cœur. Si tu peux lui donner une stalle ou deux pour lui et pour sa femme, tu verras. Mais rien ne presse. Ce qui presse, c’est le besoin que j’ai de te voir et de t’embrasser sur toutes les coutures.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16351, f. 223-224
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette
[Souchon]

a) « fanfarre ».
b) « à ».
c) « biffetek ».
d) On peine à déchiffrer si « admiratif » désigne M. Marre ou « admiratifs » les journaux.

Notes

[1Jeu de mots cumulant la référence au personnage biblique et à celui des Burgraves.

[3Allusion probable au héros de Marion de Lorme, à élucider.

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