Guernesey, 15 octobre 1856, mercredi après-midi, 2 h.
Je n’ai pas l’espoir de te voir avant l’heure du dîner, mon cher petit homme, et je n’en suis pas plus fière pour cela, AU CONTRAIRE. D’abord, je crains que tu aggravesa tes petits bobos en restant constamment à l’humidité et aux courants d’air de ta maison au milieu de tes ouvriers et par cette pluie diluvienne. Si tu étais prudent et si tu m’aimais un peu, tu viendrais t’installer au coin du feu chez moi et tu lirais ton ABYSSINIE [1] et ton Garde du corps [2] avec emportement, mais tu ne me donneras pas cette joie, au risque de te rendre malade sérieusement. Cher adoré, je ne plaisante plus et je te prie de ne pas t’exposer à quelque mauvais froid dans le moment où tu aurais besoin de chaleur. Pense au chagrin et au tourment que j’aurais si tu étais malade au lit, mon pauvre cher adoré, et ne jette pas ta santé à tous les vents avec cette insouciance ordinaire. Quant à moi, je paie mon tribut à la tempête par un redoublement de douleur qui ne me laisse pas un moment de tranquillité, mais je sens que si je pouvais te garder auprès de moi, je ne sentirais plus mon mal et que je serais bien contente et bien heureuse. En attendant, je regarde les averses qui se succèdent et j’écoute le vent qui hurle dans ma cheminée et je vous aime comme une déchaînée pour être à l’unisson avec l’ouragan. Baisez-moi, taisez-vous et venez.
Juliette.
Bnf, Mss, NAF 16377, f. 253
Transcription de Mélanie Leclère assistée de Florence Naugrette
a) « agraves ».