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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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23 juillet [1847], vendredi matin, 7 h. ¾

Bonjour, mon Toto, bonjour, mon généreux Toto, bonjour mon cher petit homme, bonjour. Il faut complétera vos générosités par une bonne grosse CULOTTE. Plus elle sera grande, large, grosse et grasse, mieux elle vaudra. Ne craignez pas que je dise : C’EST ASSEZ D’ÊTRE CÉTACÉE. Je dirai plutôt : encore, encore, encore, encore, toujours, toujours, toujours, toujours comme la dame blanche à son lieutenant d’opéra-comique. [1]
En attendant que ce moment fortuné arrive, je regarde passer les jolis dessins que vous faites chez moi et j’ouvre ma GEULE toute grande et mes yeux comme la porte Saint-Denis. Ne croyez pas que toutes les statuettes et tous les blancs de Chine du monde vaillentb pour moi le bonhomme le plus noir qui sorte de votre plume. Je suis jalouse de tout ce que vous faites et de tout ce qu’on vous fait. Je voudrais que vous ne donniez qu’à moi et que vous ne receviez que de moi. Je suis furieuse à chaque fois que tu donnes un dessin à Vacquerie ou chaque fois qu’il t’apporte quelques jolies chinoiseries. Je t’en veux de ta générosité envers lui et je l’envie d’avoir le bonheur de te combler de belles choses.
J’ai un charmant caractère comme tu vois. Eh ! bien c’est pas de ma faute. Pourquoi mon amour m’a-t-il faitec comme ça ? Adressez-vous à lui et tâchez de le changer si vous pouvez, quant à moi j’y renonce. Maintenant baisez-moi autant de fois que vous pourrez. Je ne m’en lasserai pas, quand même vos lèvres ne quitteraient pas ma bouche jusqu’à mon dernier soupir.

Juliette

MVH, α 7944
Transcription de Nicole Savy

a) « completter ».
b) « vaille ».
c) « fait ».


23 juillet [1847], vendredi matin, 11 h.

Voici l’heure où tu vas à la Chambre, mon bien-aimé, je regrette maintenant de ne t’avoir pas accompagné. Je m’en veux de ma couardise qui m’a empêchée de me donner cette joie. Cependant, j’avoue que le mal de reins excessif que j’avais hier et dont la cause m’est expliquée ce matin [2] me faisait craindre de ne pouvoir pas retourner te chercher tantôt dans le cas où je serais allée te conduire ce matin. J’ai donc optéa par prudence comme si je ne savais pas qu’un bon tiens vaut mieux que deux tu l’auras. Enfin, je suis absurde, ce n’est pas la première fois que je m’en aperçois et que je le déplore. J’avais fait ton eau de bonne heure, espérant que peut-être tu pourrais venir baigner tes beaux yeux adorés, mais tu ne l’auras pas pu. Pourvu que tu aies le temps de venir ce soir avant ton dîner les rafraîchirb. Pendant que tu vas juger et condamner ce vieux millionnaire, moi je vais aller te chercher des gants et essayer de voir le parti qu’on peut tirer de ma pauvre robe. Avant, j’aurai fait ma SURPRISE à Suzanne. Déjà pendant qu’elle était au marché je l’ai lavée, ma SURPRISE, et je me suis aperçue qu’on l’avait enduite autrefois d’affreuses peintures de toutes couleurs. Un amateur INTELLIGENT. Du reste, cette petite statuette est ravissante et je te remercie mille fois de me l’avoir donnée, et surtout je t’aime pour la grâce exquise avec laquelle tu me l’as donnée. Ce n’est pas tout de donner. Tout le monde, qui n’est pas la ladrerie même ou Lagrené [3], peut donner, mais cette façon charmante, cette manière ineffable d’offrir, personne ne la possède comme toi. Merci, mon Victor, merci avec tout ce que j’ai de plus doux et de plus tendre dans le cœur. Je voudrais être déjà à ce soir pour te voir et te dire de vive voix une partie de l’amour qui m’emplit le cœur.

Juliette

MVHP, MS a7945
Transcription de Joëlle Roubine et Michèle Bertaux

a) « obté ».
b) « raffraîchir ».

Notes

[1La Dame blanche, célèbre opéra-comique en trois actes de Boieldieu, sur un livret d’Eugène Scribe, créé le 10 décembre 1825 à l’Opéra-Comique. L’argument est inspiré de Walter Scott. Dans un château d’Écosse, une mystérieuse statue-fantôme protège les droits de l’enfant de la famille disparue. Victor Hugo retrouverait une Dame blanche, fée ou fantôme d’une mère infanticide errant dans la lande, pendant les séances des tables tournantes à Jersey : elle lui inspirera deux poèmes des Contemplations, « À celle qui est voilée » et « Horror ».

[2Cette périphrase désigne les règles.

[3S’agit-il de l’homme politique Théodore de Lagrené (1800-1862) ? L’allusion est à élucider.

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