Paris, 6 nov[embre 18]70, dimanche matin, 10 h.
Bonjour, Papapa, bonjour, mon grand bien-aimé, dans le premier il y a le sourire adorable de ta Petite Jeanne, dans l’autre toute mon âme. J’espère que ta nuit a été digne de la splendide soirée des Châtiments et que tu as vu passer en rêve ton apothéose radieuse acclamée hier par tout un public délirant. Je ne sais pas si jamais rien de pareil s’est produit depuis que l’enthousiasme humain existe mais ce que j’affirme c’est que jamais l’émotion émue, attendrie et pieuse comme celle qui jaillissait de tous les cœurs à la fois à cette mémorable audition ne sera dépassée dans aucun temps et par aucun public. Quant à moi j’avais, bien plus encore que l’admiration de tout ce monde, le souvenir à jamais sacré du premier jour où je t’ai vu pour la première fois à la lecture de Lucrèce Borgia en décembre 1832 [1]. De ce jour-là une vie nouvelle s’est révélée à moi et mon âme a senti ses ailes. Ton premier baiser a été pour mes lèvres le charbon d’Isaïe que l’impureté ne pouvait plus toucher [2]. Tu es bien grand, bien sublimement grand, divinement grand et mon amour plus grand encore si c’est possible. Je t’aime, je t’admire, je t’adore je te bénis.
MLVH Bièvres, 36-3LivVH 31a, 31b et 31c
Transcription de Gérard Pouchain