Guernesey, 19 juillet [18]64, mardi après-midi, 2 h. ¾
Je viens d’achever ta bouteille de café, mon cher petit homme, et je suis impatiente de savoir ce que tu en penses car peut-être ne te plaira-t-il pas, étant accoutumé à celui de Marie [1], je parle du café et non de la [faim ?] que je crois être sûre d’avoir fait selon tes indications les plus minutieuses. Tu me diras bien franchement demain si tu l’as trouvé bon et s’il te plait ainsi. Si non je m’appliquerai à le faire jusqu’à ce qu’il te GOÛTE, comme on dit en Belgique. Du reste, mon cher petit homme, c’est tout plaisir que de faire ton petit café [2] ; d’abord parce que la pensée que c’est pour toi me rend tout agréable et puis enfin parce que je me gave d’arôme et de senteur délicieuse tout en le faisant. Loin de me remercier de cette chose si simple, tu devrais me faire payer pour te prendre ainsi le meilleur de ton régal. Je ris mais j’ai un arrière-fond de tristesse en pensant que tu n’as pas dormi de la nuit. Cela t’arrive si souvent maintenant que cela en devient inquiétant surtout avec ton travail sans relâche. J’ai hâte que la santé de Mlle de P. [3] s’affermisse sérieusement pour que nous puissions prendre notre volée sans laisser de souci derrière nous. En attendant il faut nous contenter de nos petites promenades en voiture et à pied et surtout, mon sublime piocheur, ne pas travailler d’arrache-plume soir et matin et toute la journée comme tu le fais tous les jours. Pense à moi, mon bien-aimé, souris-moi, donne-moi tout ton cœur en échange du mien et bénis-moi comme je te bénis.
J.
BnF Mss, NAF 16385, f. 193
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette