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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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10 février [1839], dimanche après-midi, 2 h.

Bonjour, mon cher adoré, bonjour, mon petit homme chéri. J’espère que je viens de faire une fameuse pose dans le lit, ce qui ne m’empêche pas d’avoir un affreux mal de tête. Je suis dans une bête de position, rien ne vient. Je souffre sans résultat. Enfin voilà, je resterai dans mon lit et tout sera dit. J’ai chez moi la petite Besancenot qui se dispose à aller voir le bœuf gras [1]. C’est très bien mais moi je reste toujours à la maison, ce qui est peu hygiénique et peu récréatif. Papa est bien i mais il ne m’apporte pas assez de poupée et pas assez de bonheur. Vous êtes un vilain Toto. J’entends jabotter la petite Besancenot qui me finit une description de sa maison de campagne où il y a des LIEUX à côté d’un petit NÉCALIER avec des bè [ROU BLEU  ?] vè de toutes sortes. Je vous aime, mon Toto, tellement que j’en suis stupide. Vous devriez bien me rendre un peu de ma raison car je suis folle de vous, ce qui ne m’avance à rien puisque vous ne partagez pas ma folie. Rendez-moi mon cœur, rendez-moi mon ESPRIT, rendez-moi mon amour, vilain petit homme, puisque vous m’en privez pour ne pas vous en servir. Je ne sais pas du tout ce que j’écris j’ai la tête comme un boisseau et le bavardage de cette petite fille m’étourdit. Je t’adore, mon Toto, voilà tout ce que je distingue au milieu de ce bourdonnement. Je t’adore. Je te désire et je t’attends.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16337, f. 141-142
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Florence Naugrette


10 février [1839], dimanche soir, 4h

Je suis levée, mon adoré, mais je n’en vaux guère mieux. J’ai la tête à l’envers et le cœur rempli de vous. Vous êtes mon bien-aimé. Je fais manœuvrer ma servarde qui jusqu’à présent me paraît assez intelligente pour une [servante  ?]. Je voudrais pouvoir la garder car je suis déjà lasse du changement. Savez-vous, mon petit homme, que je ne vous vois presque pas ? Sentez-vous ce qu’il y a de triste pour moi à toujours vous désirer en vain ? Et souffrez-vous un peu de notre séparation ? Je crains bien qu’à toutes les questions votre réponse intérieure soit : NON, NON ET NON. Alors vous êtes un monstre d’indifférence et d’ingratitude. Eh bien tant pis moi je suis décidée à vous aimer malgré toute votre turpitude. D’ailleurs, je sais que ça vous fait enrager. À propos, comment avez-vous trouvé mon dessin [2], hein ? !!! Voilà comme je vous gâte et vous ne m’en savez aucun gré. Dores-en-avant je serai plus ménagère de mes chefs-d’œuvrea et je ne vous en donnerai qu’à bonne enseigne. Jour, vieux bêtab. Je vous en donnerai des lionnesc sur votre nez. Soyez [tranquille  ?], ah et elle à papa, hum huM. Venez que je baise vos cheveux, vos yeux, vos dents, votre langue et votre âme. Je vous adore et je vous aime et vous êtes mon Toto, quand même, mais pas que m’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16337, f. 143-144
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Florence Naugrette

a) « betat ».
b) « chef-d’œuvre ».
c) « lionne ».

Notes

[1Cortège de bouchers : « Le bœuf gras (on ne prononce pas l’F), Bœuf très-gras que les bouchers promènent par la ville, pendant les derniers jours du carnaval. » (Dictionnaire de l’Académie Française, 1835)

[2Voir le jour précédent.

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