Guernesey, 21 août 1857, vendredi matin, 8 h.
Bonjour, mon bon petit homme, bonjour, mon grand adoré, bonjour. Je vous aime et je constate ce fait avec un bonheur dont vous ne pouvez pas avoir une juste idée car pour cela il faudrait m’aimer autant que je vous aime, ce qui est impossible tout bonnement. D’ailleurs vous dormez, qui ne dit mot consent donc ce que je dis est bien dit. Taisez-vous. Je remarque avec DOUCEUR que le jeune Peter [1] vient le plus tard qu’il peut avec une touchante régularité. Ce matin il entre chez moi à huit heures sonnant, on n’est pas plus imperturbablement inexact que ce bon crétin-là. Du reste je crois qu’il tient à marcher sur les traces de M. son père, lequel ignore les exigences du cadran solaire dont chaque minute perdue pour le bourgeois est un pence de plus dans la poche de ce CARPENTER [2] modèle. Quant à moi je vois que je suis destinée à faire les frais de l’absence de messa Mauger et que mes deux ouvriers ne sont plus que les deux [coureurs ? livreurs ?] de ce touriste guernesiais. Justement voici qu’on vient les chercher, quelle chance ! c’est un gamin de chez toi qui se livre à un baragouinb anglais effréné sous prétexte d’explication probablement. De tout quoi il résulte une profonde flânerie en partie double chez toi et chez moi [3]. Après tout qu’est-ce que cela à côté de l’éternité et de l’amusant livre de MONSIEUR CHARLES [4] ? Quelle verve, quel esprit, quelle érudition, quelle raison et quelle poésie, quellec réalité et quel fantastique et quel cœur. J’en suis écarquillée et toute émue. Cela fait rire et cela fait penser, cela te ressemble au physiqued et au moral, cela me plaît et cela me fait t’aimer encore plus.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16378, f. 159
Transcription de Chantal Brière
a) « messe ».
b) « baragoin ».
c) « qu’elle ». Cette orthographe se trouve devant les mots « raison », « poésie » et « réalité ».
d) « phisique ».