Guernesey, 11 janvier 1856, vendredi après-midi, 4 h.
Je ne suis décidément pas très fière de mon achat, mon cher petit homme, au point de vue du bric-à-brac, car à celui de l’utilité dont il me sera et du prix des immondes machins en bois blanc à peine dégrossis et barbouillés de rouge qu’on a le front d’intituler meubles, mon INDIAN CABINETE [1] est cent millions de fois bon marché comparativement. Enfin ce qu’il y a de sûr, c’est que le besoin s’en faisait trop sentir pour que je ne regarde pas comme une HEUREUSE OCCASION D’AVOIR À MOI, en toute propriété, ce petit meuble chinois mais rococo. Je l’ai fait placer provisoirement jusqu’à ce que tu viennes. Hélas ! quand viendrez-vous ? Je me fais cette question à toute heure et tous les jours et vous y répondez tout juste le temps de dire : me voilà. Aujourd’hui vous avez votre cidre guernesiais et la prima Allix, c’est-à-dire deux prétextes pour me voir encore moins qu’à l’ordinaire. Tenez, je me retiens sur la pente de la grognerie mais je n’en bisque que davantage sous ma septième peau. Cher adoré, je ne suis pas grognon, je t’aime, je ne suis pas triste, je t’aime, je ne suis pas bête, je t’aime. Aussi je t’attends, je te désire et je t’espère de toutes mes forces. Tâche de venir bien vite pour que je sois très geaie, très contente, et très heureuse.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16377, f. 13
Transcription de Christelle Rossignol assistée de Chantal Brière