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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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21 juillet [1846], mardi matin, 7 h. ½

Bonjour mon Victor, et bonne fête. Je n’aurai pas la joie d’être la première à t’embrasser mais je suis sûre d’être la première à penser à toi, à te souhaiter tout le bonheur de ce monde et à t’aimer. Je suis triste et jalouse par instants, cela tient à ce que je t’aime trop et toi… J’allais ajouter pas assez mais je me retiens pour ne pas dire une inutile vérité.
Comment as-tu supporté l’orage de cette nuit ? Bien, probablement, car tu es, fort heureusement pour toi, très insensible à toutes les variations de la température. Moi je suis tout à fait ton contraire ; on dirait que tout ce qui se passe dans l’atmosphère a un écho dans ma personne. Chaque goutte de pluie qui tombe me fouette le sang et m’agite comme si j’avais bu des pintes de café noir. Aussi j’ai peu dormi toute la nuit. Je ne m’en plains pas puisque cela m’a donné plus de temps pour penser à toi et pour t’aimer. Ce matin en m’éveillant mon premier soin a été de regarder ton ravissant dessin [1]. Je regrette de n’être pas assez riche pour l’acheter. Je m’en rapporte à ta générosité pour me le donner quand le graveur l’aura copié. Cependant j’avoue que ta promesse ne me fait pas le même effet de joie et de bonheur que la possession immédiate de cette adorable chose. J’aime toujours mieux un bon tiens que deux tu l’auras. C’est plus sûr. Surtout pour moi dont la chance est plus que douteuse. Enfin puisque je n’ai pas le choix il faudra bien que je me contente de rien.
Trop heureuse si tu te souviens de ta promesse plus tard et si tu la tiens. D’ici là, il faut que je me résigne à toutes les Boisgontier [2] et à toutes les femelles du même genre qui te passent sous le nez et peut-être ailleurs. C’est médiocrement amusant.

Juliette

MVH, α 7797
Transcription de Nicole Savy


21 juillet [1846], mardi après-midi, 3 h.

Payez-moi, d’abord, ensuite je verrai ce que j’aurai à faire. Du reste tout cela n’est qu’une feinte pour me subtiliser mon dessin et le donner à la place du vôtre et en votre nom au graveur. Merci, je vous connais. Je sais à quoi m’en tenir sur votre prétendue admiration. Quand j’aurai ma culotte il sera temps de tailler mes crayons et de préparer mes pinceaux. Jusque-là je ne bouge pas. Je n’ai pas besoin d’être votre dupe [ad] vitam aeternama. À partir de ce soir je ne veux plus rien vous donner pour rien. Fichtre j’y perds trop. Je m’en aperçois un peu tard mais vous savez le proverbe : mieux vaut tard etc. Vous êtes bien heureux que j’étais trop triste pour grogner quand vous avez donné cet affreux coup de sonnette. Si j’avais été bien disposée et dans mon état naturel de Juju je vous en aurais dit de drôles. Heureusement pour vous que j’étais trop malheureuse dans ce moment-là pour m’arrêter à si peu de chose que ça. Je pensais à toutes ces femmes qui vont et viennent dans votre vie et j’avais le mauvais goût de m’en inquiéter. On n’est pas plus bête que cette Juju-là. Je crains bien du reste qu’elle ne soit incorrigible et qu’elle ne meure d’une jalousie rentrée. En attendant elle vous embête autant qu’elle vous aime c’est une compensation pas comme une autre.

Juliette

MVH, α 7798
Transcription de Nicole Savy

a) « eternam ».


21 juillet [1846], mardi soir, 10 h. ¼

J’espère, mon doux adoré, que vous ne me laisserez pas finir ce gribouillis sans venir m’interrompre au plus bel endroit. J’y compte si bien que je me dépêche de vous dire ce que j’ai de plus beau et de meilleur dans le cœur et dans l’esprit. Je vous aime et je vous adore. Je n’avais pas eu le temps dans la journée de t’écrire, et ce soir, j’ai attendu qu’Eugénie fût partie pour le faire. M. Vilain ne voulait pas rester à dîner, mais à l’heure qu’il était, et pour la dernière fois, j’ai insisté et je l’ai fait dîner tout de suite. Après quoi, il est parti où il avait à fairea. Eugénie est restée avec moi et j’ai profité de l’occasion pour lui donner quelques conseils dans son intérêt. Elle les a très bien reçus et très bien compris. C’est une bonne créature et qui est on ne peut pas plus dévouée à ce jeune homme. Malheureusement, je crains qu’elle ne se nuise dans la forme tout en lui étant dévouée dans le fond. Je désire ardemment me tromper et je ferai tout mon possible pour l’aider à me mettre dans l’erreur de ce côté-là. Elle m’a priée de te supplier d’aller voir la statue de ce pauvre jeune homme [3]. Je lui ai promis de t’en parler ce soir, et pour commencer je te l’écris, afin que tu te souviennes de sa prière à tête reposée et que tu avises au moyen de satisfaire ces deux bonnes gens d’un seul coup.
Hum ! Scélérat, je m’aperçois que je suis au bout de mon rouleau.....b de papier et vous n’êtes pas encore venu. Si vous croyez que vous êtes très gentil quand vous vous faites attendre comme cela, vous vous trompez et la preuve c’est que je suis furieuse et que je vous aime de même.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16363, f. 241-242
Transcription de Marion Andrieux assistée de Florence Naugrette

a) « affaire ».
b) Cinq points de suspension.

Notes

[1Ce dessin reste à identifier.

[2Actrice comique alors attachée au Théâtre des Variétés, Elisa Boisgontier (1817-1877) était célèbre pour son entrain et son aplomb.

[3Victor Vilain fait le buste de Juliette Drouet.

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