Guernesey, 30 août 1859, mardi après-midi, 2 h. ¾
Cher bien-aimé, j’ai le cœur plein d’amour et d’adoration pour toi en même temps que j’ai l’âme remplie de pitié et de regret de l’état de maladie et de douleur dans lequel je viens de voir ce pauvre docteur tout à l’heure. Nous en avons tous pleuré tout à l’heure tant la souffrance de l’âme d’un honnête homme et d’un noble cœur est chose sympathique et contagieuse. Quand je pense à ce qu’il a été pour toi et pour moi pendant ta dangereuse maladie l’année passée [1], j’éprouve toutes les angoisses d’un cruel arrachement en voyant partir ce bon être si dévoué, si modeste, si véritablement affectueux et cordial [2]. Il venait m’apporter son précieux livre pour que tu en remplissesa les pages blanches, si tu en as le temps et si tu l’en juges encore digne, a-t-ilb ajouté au milieu de sanglots étouffés. Oh ! que je plains ce pauvre martyr vaincu ! Oh ! que je te plains, que je nous plains de perdre un pareil ami ! Mon Victor adoré, aimons-nous encore plus fort si c’est possible et serrons-nous encore plus près l’un de l’autre pour vivre et pour mourir ensemble la main dans la main.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16380, f. 195
Transcription de Mélanie Leclère assistée de Florence Naugrette
a) « remplisse ».
b) « à t’il ».