Jersey, 14 septembre 1854, jeudi matin, 11 h.
Bonjour, mon cher petit homme, bonjour, je vous aime, je vous attends et je vous désire. Voici le moment de mettre la maxime de Gribouille [1] en action en vous fourrant dans la mer [par] peur de la pluie qui commence à retomber. Il me paraît presque certain maintenant que vous n’aurez pas de plus belle occasion pour satisfaire votre goût immodéré de natation. J’en étais là de mon élucubration quand vous êtes venu me surprendre…… agréablement. Malheureusement mon bonheur a duré juste le temps de la surprise, c’est à dire trente-trois secondes de moins qu’une minute. Après cela on n’est pas aussi impunément beau et aussi fraîchement barbifié que vous l’êtes ce matin pour tirer sa poudre à une pauvre moignotte [2] comme moi. Aussi je ne m’étonne pas de votre courte apparition mais je vous en suis très reconnaissante. Taisez-vous j’espérais me rattrapera sur une journée complèteb dimanche mais j’avais compté sans mon hôte Asplet [3] lequel jusqu’à présent n’a pas eu l’esprit de nous inviter à dîner. Je prévois tristement que j’en serai réduite à mon seul et unique déjeuner ce qui n’est guère pour une Juju aussi affamée de vous. Enfin j’en prendrai au moins plein ma dent creuse, ce sera toujours mieux que rien. Pourvu que vous ayez l’Allen [4] fraîche, si non pure, tout est pour le mieux, n’est-ce pas ? maintenant Dieu sait quand je vous reverrai ? mais ce qui n’est pas douteux c’est que je vous aime trop, c’est que je vous suis attachée comme une bête que je suis, ce dont j’enrage comme un pauvre chien.
BnF, Mss, NAF 16375, f. 299-300
Transcription de Chantal Brière
a) « rattrapper ».
b) « complette ».