Jersey, 3 août 1854, jeudi soir, 5 h.
Dites donc, vous, je ne vous trouve pas trop malheureux : hier, mon argent, aujourd’hui, ma prose, c’est un sort. Aussi je ne m’étonne plus si vous [mot oublié ?] avec un souffle de vie, on n’en auraita à moins. Quant à moi, par et pour la même raison, je n’en aib pas l’ombre, ce qui n’est pas assez dans une île. En attendant, je viens de me rapetasser avec le trop [sensitif ?] citoyen Claude Durand le moins en durant, à l’endroit d’Heurtebise, ce qui ne l’empêche pas d’être un vrai bon homme bien dévoué à votre sacrée personne et à votre auguste famille y compris l’auguste Vacquerie [zeniore ?]. Maintenant nous revoici comme deux cœurs et pour longtemps, j’espère, car je n’ai pas l’intention de servir de Bradamante [1] à tous les [loupeurs ?] et à tous les goistapious de la proscription de Jersey et autres univers.
Aujourd’hui aucune nouvelle de Suzarde, laquelle trouve inutile ou superflu de m’écrire et d’avoir le moindre honnête procédé envers moi. Je ne m’en affecte pas autrement mais j’éprouve le besoin de remettre mon portefeuille, mon torchon et toutes mes autres dignités à une maritorne plus digne que moi et moins éreintée. Du reste je vous ferai remarquer que voici bientôt l’été passé et que vous ne m’avez pas encore fait faire une vraie promenade à vos frais et dépens de luncheons. Pour un homme qui se vante d’être si fort en vie, vous vous conduisez comme un mort ou comme un bien malade avec moi et vous voulez que je vous respecte ? [Peu souvent ?] J’aime mieux être sans défaut, comme la terre de pipe [2], que de respecter un homme bête comme un pot sans anse, c’est mon goût, c’est mon opinion, ma vocation et ma religion. Taisez-vous ! prenez des bains de mer depuis le matin jusqu’au soir et dormez le reste du temps.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16375, f. 247-248
Transcription de Chantal Brière
a) « n’aurait ».
b) « n’ai ».