Paris, 12 avril 1880, lundi soir, 4 h. ½
Cher bien-aimé, il est fâcheux que ce bon vieux anniversaire si courtoisement et si tendrement fêté par toi ne se soit pas complété, comme il l’a fait pour moi, par une bonne nuit. Je le regrette en espérant, néanmoins, que tu dormiras bien la nuit prochaine. En attendant, je te prépare, ne pouvant pas faire autrement, une aimable flirtation avec ta Princesse [1] pour ce soir. De son côté Mme Alphonsine Bowes, autre tête couronnée, m’écrit qu’elle a eu un horrible cauchemara dans lequel l’archevêque, Prince royal de Lusignan [2], l’enfermait dans son vaste sac noir dont le capuchon l’étouffait, comme un grand éteignoir sur un gros cierge. En même temps elle me dit qu’elle viendra seule avec sa mère vendredi prochain parce que le médecin défend absolument à son mari, qui est en proie aux étourdissements depuis longtemps, de dîner en ville et de sortir le soir. Je vais aller te demander s’il te plaît de sortir tout à l’heure. Le temps, sans être gai, n’est cependant pas maussade et il ne vente pas trop fort. Je ne crois pas que tu puisses te passer deux jours de suite d’air et de locomotion ? Je vais aller te le demander sans plus attendre. Cher bien-aimé, qu’il soit fait selon ta volonté et avec le respect dû à ton saint travail. Je baise tes ailes et tes pieds, je te souris, je te bénis, et je t’adore.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16401, f. 102
Transcription de Blandine Bourdy et Claire Josselin
a) « cauchemard ».