Paris, 3 janvier 1880, samedi matin, 8 h.
Cher bien-aimé, je me hâte de rétracter la bête de lettre que je t’ai écrite cette nuit et que tu ne liras pas, heureusement pour moi. C’est déjà trop que j’aie pu la penser une minute. Je t’en demande pardon, accorde-le-moi. Ta chère petite lettre [1] que je viens de relire me prouve que tu m’aimes et que je suis une méchante bête d’en douter. D’ailleurs il te serait si facile de te soustraire à mon importun amour et d’avoir une personne plus jeune, plus alerte et plus sociable que moi qu’il est évident que, si tu ne le fais pas, c’est que tu me préfères toute vieille, toute grognon et toute inutile que je suis. Tant pis si tu te trompes.
J’espère que tu as bien dormi pour toi et pour moi qui n’ai pas fermé l’œil de la nuit. J’attends l’arrivée de Virginie pour qu’elle prépare ton feu en même temps que je te donnerai tes œufs. [2] Je te ferai penser en même temps que tu ne m’as pas donné d’argent hier pour payer la dépense d’avant-hier montant à 167 F. 80 à laquelle s’ajoute celle d’hier dont je ne sais pas encore le chiffre, n’ayant pas compté ce matin avec la cuisinière. Je regrette de t’en faire une scie [3] mais je ne peux pas faire autrement, pas plus que de t’aimer.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16401, f. 6
Transcription de Blandine Bourdy et Claire Josselin