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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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27 décembre [1849], jeudi matin, 11 h. ½

Je ne suis même pas sûre de te voir aujourd’hui ? J’admire avec quelle facilité tu en prends ton parti et je m’essaye en vain à en faire autant. Jusqu’à présent tout ce que je fais ne sert qu’à me rendre ton abandon et ton indifférence plus douloureuxa. C’est à ce point que je n’irai même pas chez ces gens ce soir. J’ai le cœur si triste que je ne me sens pas le courage de sortir de chez moi pour autre chose que pour te chercher et pour bien constater à quel degré au-dessous de zérob est tombé cet amour autrefois si incandescent. Je suis triste vraiment triste jusque dans la moelle des os. Je voudrais mourir dans l’espoir de te faire plaisir. C’est la seule chose agréable que je puisse faire maintenant pour toi. Il faut que je sois bien maladroite et bien peu généreuse pour te faire désirer si longtemps cette dernière joie. Pourtant Dieu sait si j’ai lieu de tenir à la vie et si j’y tiens réellement. Il ne faut qu’un peu de courage et une journée comme celle-ci, ce qui n’est pas impossible ni difficile à trouver quand on y met beaucoup de bonne volonté. En attendant il faut que tu te résignes à mes maussades rabâcheries. Pour te rendre la tâche plus facile tu asc qu’à ne pas les lire, ce sera du bon temps gagné de toute façon. Mon cher petit homme je suis très démoralisée, cela se voit du reste et je donnerais ma vie pour moins [de] deux liards, ce qui est encore plus qu’elle ne vaut, et je t’aime avec frénésie, ce qui est un horrible défaut.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 363-364
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « douloureuse ».
b) « au-dessous de zéro » a été ajouté à la relecture.
c) « Tu n’as qu’à ».


27 décembre [1849], jeudi matin, 8 h. 

Bonjour, monsieur Toto, bonjour, homme bien mis, bonjour, mirliflor [1], bonjour, muscadin [2], bonjour, réac, bonjour, aristoa, vous pensez bien que je ne suis pas la dupe de cette toilette inusitée que vous avez endossée hier pour la première fois par le dégel et le gâchis le plus hideux. Votre simple paletot suffisait de reste pour un pareil temps et une apparition d’une heure à la Chambre. Il est évident pour moi que cette toilette excessive cachait quelque projet que la pudeur vous a empêché de m’avouer. J’en suis si sûre que j’ai passé plus de la moitié de la nuit à deviner le mot de l’énigme. Je crois que je n’en suis peut-être pas à cent lieues en supposant que vous êtes allé chez Rachel faire votre invitation en forme et lui tâter …. le pouls encore plus en forme s’il y a des formes. De là, vous serez allé à quelque bastringue et au bal de l’Opéra. C’est si naturel que je m’étonne que vous ayez eu la timidité de ne pas me l’avouer tout de suite. Cela m’aurait évitéb la peine de chercher et de lever les barbes de toutes les Polémas, de toutes les Olympes de votre collection, voirec même celle de ce pauvre pasteur Cocquerel [3] qui ne se doute pas d’être devenu subitement aussi intrigant que cela. Une autre foisd, mon petit homme élégant, vous me direz la chose tout crûmente et vous n’endosserez pas pour moi le nez de carton des représentants en bonne fortune à Valentino [4] et le manteau couleur de muraille des heureux coquins admis aux honneurs de l’escalier dérobé [5]f de la GRANDE TRAGÉDIENNNE. À quoi bon ? à quoi bon ? hélas ! Vous aurez beau créneler vos mornes Tuileries, la vengeance du peuple, sous la forme Juju, ne vous en flanquera pas moins une pile atroce et la mort.

Harvard, HL, MS Fr 100.4
[Barnett et Pouchain]

a) « aristos ».
b) « éviter ».
c) « voir ».
d) « autrefois ».
e) « cruement ».
f) « dérobée ».

Notes

[1« Jeune élégant affecté. » (Le Robert - Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française.)

[2« Jeune fat d’une coquetterie ridicule dans sa mise et ses manières. » (Ibid.)

[3Le pasteur calviniste Athanase-Charles Coquerel, qui siège à l’Assemblée nationale, a participé au Congrès de la Paix (Paris, 21-24 août 1849) présidé par Victor Hugo. Lors du discours où celui-ci prédit non seulement les États-Unis d’Europe, mais aussi la fraternité des religions, il était tombé dans les bras de l’abbé Deguerry, curé de la Madeleine.

[4Le bal Valentino, succursale d’hiver du bal Mabille, se situerait aux 247-251 de l’actuelle rue Saint-Honoré.

[5Souvenir des deux premiers vers d’Hernani.

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