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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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31 août [1842], mercredi après midi, 3 h. ¾

Vous le voyez, mon cher amour, je crois si peu à votre promesse que je fais le remède de l’absence à l’avare : je vous écris cette grosse lettre. J’aimerais mieux vous soigner comme ces quatre jours derniers. Hélas ! Vous êtes guéri ; MALHEUREUSEMENT, et votre premier besoin est de vous enfuir d’auprès de votre pauvre vieille garde-malade. Du reste je comprends cela quoi que cela me crève le cœur. Mais je sais qu’il y a près d’ici des Toto [1] et des Didine qui vous attendent, qui vous désirent, qui vous aiment et qui peuvent s’inquiéter de leur côté de votre trop long séjour à Paris [2]. Je sais cela, mon cher bien-aimé. Je prends mon courage à deux mains pour ne pas être déraisonnable mais rien ne fait contre cette espèce de mal-là. Le seul remède, c’est toi. Ne me le fais pas attendre trop longtemps si tu peux.
Plus souvent qu’on m’écrira des bonnes petites lettres de la campagne à moi. Plus souvent qu’on me fera des ravissants petits dessins à moi. Il n’y a pas de danger et vous voulez encore que je sois contente et que je ne trouve pas votre absence le plus triste et le plus insupportable des maux, merci mais c’est comme si vous chantiez avec votre VOIX INTÉRIEURE [3] : jamais dans ces beaux lieux hom hom hom hom hom hom hom [4]. Taisez-vous vilain chiragre [5]. C’était bien la peine de me faire acheter un lapin, n’est-ce pas ? Avec ca que ça se garde facilement dans ce moment-ci. Et puis comme si en ne dépensant pas assez d’argent forcément sans encore le jeter par la fenêtre. Taisez-vous qu’on vous dit encore une fois. Si je ne vous aimais pas comme une bête je vous haïrais comme un chien de ne pas savoir vous mieux conduire que ça. Tout ça ne me met pas un liard d’espoir dans mon pauvre cœur et j’en suis plus que jamais pour ce que j’en ai dit : vous êtes allé où vous allez tout à l’heure : Saint-Prix. Enfin, mon pauvre adoré, mets bien le temps de mon impatience et de ma tristesse à profit. Dépêche toi d’être heureux et de me revenir le plus tôta possible. Pense que je n’ai pas d’autre joie, d’autre bonheur que de te voir. Embrasse pour moi tous les chers petits goistapioux et rapporte moi une petite fleur de leur jardin. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 107-108
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) « plutôt ».

Notes

[1Surnom du fils de Victor Hugo, François-Victor Hugo.

[2Les enfants de Victor Hugo, ainsi que sa femme, sont partis entre le 24 et le 25 août s’installer pour quelques mois à Saint-Prix dans le Val d’Oise.

[3Les Voix intérieures, recueil de poèmes de Victor Hugo publié en 1837.

[4Jamais en ces beaux lieux est un air d’un opéra de Glück, Armide, représenté pour la première fois en 1777 à l’Académie Royale de Musique, sur un livret qui avait été composé directement pour Lully par Quinault en 1686. Cet air reprend plusieurs fois le refrain : « Jamais dans ces beaux lieux, notre attente n’est vaine / Le bien que nous cherchons se voit offrir à nous / Et pour l’avoir trouvé sans peine / Nous ne l’en trouvons pas moins doux ».

[5Chiragre : personne souffrant de goutte aux mains, ce qui est le cas de Victor Hugo à cette période.

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