26 août [1842], vendredi soir, 5 [h.]
Eh ! Bien, mon cher petit médecin, depuis que vous êtes parti je n’ai pas cessé de trimer chez moi, après avoir fait mon gargarisme [1] toutefoisa, fichtre, je ne plaisante pas avec ça. Toujours est-il, que je viens seulement de passer une robe propre. Bien m’en a pris au reste de fureter partout, car sans cela je n’aurais pas découvert des turpitudes de ce hideux Fouyou qui [moisissaient ?] depuis deux ou trois jours dans l’armoire à la vaisselle. J’ai fait laver et asperger de vinaigre et malgré cela l’odeur persiste même l’armoire ouverte. Décidément, cet animal est fort incommode dans une aussi petite maison que la mienne, aussi je voudrais trouver à le donner quand je devrais causer la mort de Suzanne.
Voici un temps bien mauvais pour tes pauvres petits campagnards [2]. A peine sont-ils partis dans les bois que la pluie et le vent se sont fait sentir. Il faut espérer que ce ne sera qu’une pluie d’orage car ce serait avoir trop de malheur si cela devait continuer longtemps. Mais mon Dieu, mon pauvre ange, pourvu que tu ne sois pas dans les rues ou dans les champs dans ce moment-ci. La pluie et la grêle tombent à torrents. Je ne suis pas tranquille. Me voilà revenue dans les anxiétés de savoir si tu es ou si tu n’es pas à Saint-Prix. Je ne peux guèreb me fier à tes promesses puisque sur mille tu en manquesc 999. J’ai grand peur pour celle d’aujourd’hui.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16350, f. 101-102
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette
a) « toute fois ».
b) « guerre ».
d) « manque ».
26 août [1842], vendredi soir, 5 h. ¼
Ce petit papier m’est fort incommode pour toutes sortes de raisons, sans parler de mes paroles tronquées, de mon style, je veux dire mes mots [3], encaqués comme des harengs dans un tonneau. Il y en a cependant des plus grandsa dans mon buvard mais comme je suis une Juju très bien dressée, j’attends votre permission pour en prendre. On n’est pas plus Juju que ça comme vous voyez. J’ai une peur de chien que vous ne soyez parti à Saint-Prix et que je me trouve en tête à tête avec mon VEAU ce soir que j’en frémis. Ce serait bien absurde à toi, car, outre la cruauté de me donner un espoir que tu ne réaliserais pas, tu jetterais de l’argent par la fenêtre parce que de ce temps-ci la fricassée ne se conserve pas. Je n’ose pas trop bougonner de la crainte d’être injuste mais j’ai bien peur de ne pas me tromper. J’ai eu assez d’argent pour l’huile, c’était deux sous par livre, moins cher que chez l’épicier. À 15 sous cela m’en a fait pour 15 F. 50 s. d’argent. Je t’ai apprêté ta lampe, je t’ai donné du linge blanc, enfin, j’ai tout préparé comme si j’étais sûre d’avoir le bonheur de te voir tout à l’heure. Dieu veuille que ce ne soit pas peine perdue. Voilà le temps remis au beau. Tant mieux pour les pauvres enfants de Saint-Prix auxquels je pense toujours, soit qu’il pleuve, soit que le soleil reluise. Embrasse-les bien toujours pour moi et puis viens bien vite me SOIGNER. Je suis TRÈS MALADE DE CŒUR. Je vous aime trop mon cher petit homme, voilà ma maladie.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16350, f. 103-104
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette
a) « grand ».