24 août [1842], mercredi matin, 8 h.
Bonjour mon Toto bien aimé. Bonjour mon cher petit MÉDECIN. Comment vas-tu, médecin ? Comment va notre cher petit malade [1] ? Je passe ma vie à te désirer dans le vide, et mon temps à effacer les mauvaises impressions que je te donne pendant les quelques minutes que je te vois. Et puis, grâce à mon heureux caractère et à la vie contre nature, et surtout contre le bonheur, que je mène, je recommence sur de nouveaux frais, absolument comme une fille de Danaüs [2] ou comme le Sisyphe avec son moëllon. J’ai beau remplir mon âme de courage, de patience et de résignation, il n’en reste jamais une seule goutte. J’ai beau remonter mon mauvais caractère, il retombe toujours d’aplomb sur le pauvre petit moment du jour que tu m’apportes. En vérité, je suis bien absurde et bien à plaindre, car je t’aime autant et plus que la meilleure et la plus heureuse des femmes ne pourrait le faire. J’ai le cœur plein de tristesse en pensant que tu t’en es allé presque fâché contre moi. Je sens que ton amour m’échappe par toutes ces petites maussaderies. Je sens que ma vie s’en va avec lui et quelque chose que je fasse, je ne peux pas le retenir. Plus je fais d’effort pour le retirer de là et plus il s’y perd absolument, comme les gens qui s’enlisent. Aussi, mon cher adoré, le découragement et l’ennui s’emparent de moi à un point que je n’ose pas te dire. Je baise tes chersa petits pieds et tes belles petites mains.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16350, f. 93-94
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette
a) « cher ».
24 août [1842], mercredi soir, 7 h. ½
Je t’en prie, mon adoré, ne sois pas triste, surtout si c’est à cause de moi. Je ferai tout ce que tu voudras, je me gargariserai, je m’enfumerai, je m’empoisonnerai même si tu y tiens et je te reconnaîtrai pour le plus grand médecin de tout le royaume de France et de Navarre et même des pays les plus étrangers. Je suis prête à tout faire et bien autre chose avec pour t’empêcher d’être triste, mais, hélas ! j’ai bien peur que ce ne soit pas seulement mon bobo qui te tourmente et que toutes mes belles dispositions n’aboutissent à rien moins qu’à te dérider. En attendant, je suis presque contente de la permission que le docteur Louis a donnée à Toto parce que j’espère que tu habiteras un peu plus chez moi, que je te verrai plus souvent et que nous pourrons vivre de la même vie quelquefois. Ce régime me vaudra mieux pour ma gorge que tous les miels rosatsa [3] et tous les aluns [4] de la nature. Je voudrais déjà y être pour vous en donner la preuve. En attendant, ne soyez pas comme un pauvre petit hibou. Aimez-moi et tâchez de me faire un peu sortir ce soir. Vous êtes mon Toto adoré.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16350, f. 95-96
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette
a) « rosa ».