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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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4 août 1845

4 août [1845], lundi matin, 11 h.

C’est encore moi, mon doux aimé, il faut bien que je tâche de doubler la distance qui nous sépare sans trop d’impatience. C’est pour cela que j’ai recours si souvent dans la journée à mes gribouillis. Je n’ai pas besoin de te dire que tu n’es pas tenu de les lire, cela va plus que sans dire. Je ne les fais que pour tromper mon impatience et pour avoir l’occasion de dire quelque part que tu es mon bien-aimé adoré que j’attends et que je désire de toutes mes forces. J’espère, mon cher petit homme, que tu vas toujours de mieux en mieux ? Ce temps hideux n’est pas sans me donner de l’inquiétude à ce sujet, mais je compte sur ta prudence et sur les soins dont tu es entouré. Je voudrais être à tantôt pour être bien sûre que tu vas aussi bien que tu me le dis. Il y [a] encore bien longtemps d’ici là. Je vais te faire ton eau. Depuis que tu es souffrant, je n’ai pas cessé un jour de la faire. Il me semblait que je n’étais pas aussi sûre de ne pas te voir en la faisant que si je ne l’avais pas faite. C’était une espèce d’espoira et une consolation que de m’occuper à une chose qui ne devait même pas te servir. N’est-ce pas que je suis bien bête et que je t’aime trop ?

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 107-108
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « un espèce d’espoir ».


4 août [1845], lundi après-midi, 1 h.

Tu me demandes si j’ai été bien triste [1], mon Toto chéri, pendant les affreux jours de ton absence ? Rien que le souvenir m’en donne mal à la tête et me serre le cœur. Ainsi, juge combien j’ai souffert et quelle amère et profonde tristesse j’ai euea à combattre pour arriver jusqu’à aujourd’hui. La présence même de ma pauvre Claire n’aurait pas été une diversion si je n’avais pas eu l’espoir de te voir aujourd’hui.
Mon Victor adoré, mon bien-aimé, ma vie, ma joie, mon bonheur, je ne veux plus penser qu’au bonheur de te voir tantôt. Je sais bien que cet instant de suprême félicité sera très court, mais j’ai tant besoin de te voir que je donnerais des années de ma vie pour abréger les heures qui me restent encore pour arriver jusqu’à lui. À quelque heure que tu arrives, mon cher adoré, je serai à mon poste. Je veux ne pas perdre le bruit de la voiture qui t’amènera. La seconde d’intervalle qui sépare ma porte de la rue, je serai là en [illis.]. Mais ne crains pas que j’attire l’attention. Car, à l’exception de la vieille propriétaire qui reste sur le devant, tout le monde est de plus en plus partib à la campagne.
Je te remercie de tout ce que tu me dis d’obligeant de ma pauvre grande fille. Malheureusement ces compliments plus ou moins mérités ne suffisent pas pour faire une femme capable et sérieuse. J’espère qu’elle y viendra petit [à petit] mais elle [a] encore bien du chemin à faire. Tu as dû voir son père. Je compte sur toi pour lui avoir parlé d’elle si l’occasion s’en est offerte.
Merci, mon Victor adoré, bien aimé et bien désiré. À tout à l’heure. Je te baise comme je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 109-110
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « j’ai eu ».
b) « partie ».


4 août [1845], lundi soir, 5 h. ½

Tu ne m’as pas dit toute la vérité, mon Toto. Tu devais, soi-disanta, rentrer tout de suite chez toi et tu as donné ordre au cocher d’aller à l’Imprimerie Royale. Ce petit incident me trouble et me tourmente plus que je ne voudrais. Je te crois incapable de me tromper. Aussi j’espère que ce n’est qu’un malentendu entre nous d’eux, une restriction involontaire de ta part. Vois-tu, mon pauvre adoré, pour que je puisse supporter ton absence et l’isolement absolu dans lequel je vis, il me faut une foi entière dans ton amour et dans ta loyauté. Ainsi, ce pauvre petit moment de bonheur si chèrement acheté est-il bien [illis.] par l’incident de tout à l’heure. Je ne peux pas m’empêcher de pleurer en y songeant.
Quand te verrai-je maintenant ? Dans trois jours peut-être ? Vraiment je crois que je jetterai le manche après la cognée. Dire que tout le mauvais de la vie est pour moi et que rien de ce qui réjouit le cœur et l’âme n’est pour moi, c’est pour en devenir folle. Il faut que je me crée des joies avec un quart d’heure d’entrevue tous les trois jours. Et encore, ces joies sont-elles traversées par d’affreux doutes. Vraiment cela ne vaut pas la peine de tant souffrir. Quelle vie que la mienne, mon Dieu. Je ne crois pas que personne au monde serait tenté de changer avec moi. Quel supplice atroce en échange de l’amour le plus pur qui ait jamais existé.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 111-112
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « soit disant ».

Notes

[1Victor Hugo écrit à Juliette Drouet ce 4 août 1845 : « Lundi 10 h. du m. / Comment vas-tu, ma pauvre Juju bien aimée ? Comment as-tu passé la nuit ? Et ces tristes jours où tu ne m’as pas vu, comment les as-tu passés ? Comme moi, n’est-ce pas, bien tristement. Pourtant tu as eu ta Claire, et je me suis réjoui en songeant que ce serait une joie pour toi, et un rayon dans cette nuit du cœur où nous sommes en ce moment, hélas ! / Aujourd’hui je te verrai, et j’ai l’âme presque heureuse en y songeant, mais que ce sera court, et que ces instants-là sont peu de chose après ces éternelles journées qui se traînent sans lumière, sans soleil, sans bonheur, sans toi ! Il me faudrait de longues heures, de bien longues heures près de toi, mon ange, pour étancher un peu la soif que j’ai de te voir, de t’entendre, de te parler. / Attends-moi donc aujourd’hui, je viendrai peut-être de meilleure heure que l’autre fois, je continue d’aller bien. Oh ! quand serai-je tout à fait libre ! Quand pourrai-je reprendre cette douce habitude d’être à toi qui es ma vie ! Je t’aime, mon doux ange béni. J’ai le cœur plein de toi. Varin est venu me voir hier soir, il m’a dit de Claire tout le bien possible. Il était enchanté d’elle, je le crois bien ». (édition de Jean Gaudon, p. 135).

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