5 juillet [1845], samedi matin, 10 h. ½
Bonjour, mon Toto bien aimé, bonjour, mon adoré petit Toto, bonjour, mon cher amour, comment vas-tu aujourd’hui ? M’aimes-tu ? Tu es resté bien peu de temps cette nuit, cependant j’étais bien éveillée. C’est que tu n’auras pas pu rester davantage, mon Toto, car tu paraissais bien préoccupéa [1]. Depuis quelque temps, tu l’es beaucoup, ce qui raccourcit encore les moments déjà trop courts que tu me donnes. Je n’ai même pas l’espoir que cela finisse bientôt, puisqueb tu dis qu’après la session [2], il faudra que tu travailles. Je ne sais pas alors ce que je deviendrai. Je tâcherai d’être courageuse et de ne pas ajouter à la fatigue de ton travail par des jérémiades continuellesc.
Cher bien-aimé, je t’écris tard parce que je veux faire ta tisanec de bonne heure pour lui donner le temps de se refroidir et on profite de ce feu-là pour faire le déjeuner tout de suite. Je n’ai pas besoin d’avoir recours à mes informes pattes de mouches pour penser à toi et pour t’aimer. Toutes mes pensées sont à toi, toute ma vie et tout mon amour sont à toi. Que je dorme ou que je veille, je pense à toi. Cette nuit je ne t’ai pas quitté... en rêve. Pourquoi me suis-je réveillée ? ...
Mon Victor chéri, je t’attends. Tâche de venir bien vite et de n’être pas triste comme ces jours derniers. Je te désire, je te baise, je t’attends, je t’adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16360, f. 7-8
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
[Souchon, Blewer]
a) « préocupé ».
b) « puis ce que ».
c) Paul Souchon arrête ici la transcription.
d) « ta tisanne ».
5 juillet [1845], samedi après-midi, 3 h. ¾
Si tu savais, mon bien-aimé, l’effet que me fait une journée passée sans te voir, tu ne me laisserais jamais un jour sans venir au moins une fois quelles quea soient tes occupations. Je souffre de tout le corps comme si j’étais dans le feu. Je viens de faire venir un bain pour me rafraîchirb le sang. Peut-être viendras-tu pendant que je serai dedans. Je le désire sans trop oser y compter. Eulalie vient de partir chercher Claire. Elle ne viendra plus maintenant que d’aujourd’hui en quinze. Je t’ai fait acheter une provision de pavots à la halle ce matin, mais il n’y avait pas encore de lavande. Du reste, mon pauvre adoré, il faudra que tu me donnes de l’argent si tu ne veux pas que je touche à la réserve. Je suis vraiment honteuse de te demander toujours. Il me semble que je dois t’ennuyer et te paraître une gaspilleuse. Cependant je fais bien attention à mes dépenses. Si j’en fais d’inutiles ou de surabondantes, c’est à mon insuc. Quant à moi personnellement, il est presque impossibled d’en faire moins. Tout cela n’empêche pas que ma maison ne soit fort lourde et ne doive te peser beaucoup. Je le sens jusque dans le bout des ongles. Encore si je te rendais heureux.... Mais j’en doute souvent, ce qui fait mon supplice.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16360, f. 9-10
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « quelques ».
b) « raffraîchir ».
c) « à mon insçu ».
d) « presqu’impossible ».