Guernesey, 7 avril 1860, samedi matin
Bonjour, mon bien-aimé,, bonjour mon adoré, bonjour, que le bonheur soit avec toi et la santé et l’amour. Comment vas-tu ce matin ? As-tu enfin passé une vraie bonne nuit ? Comment va ta jambe ? Peut-être as-tu tort de la fatiguer en marchant tant que tu n’auras pas un bon bas. À ta place j’en aurais toujours deux à la fois pour ne pas me trouver à court à un moment donné important. Je hasarde cet avis dont tu n’as probablement pas besoin car tu sais toujours mieux que tout le monde ce qu’il convient de faire. Et à ce sujet je vous rappelle que c’est aujourd’hui le dernier jour de Carême et qu’il serait utile au salut de votre âme de faire quelque œuvre pie d’ici à demain, ne fût-ce que pour justifier ces trois vers de votre connaissance :
« Qui donne aux pauvres prête à Dieu.
Le bien qu’on fait parfume l’âme,
On s’en souvient toujours un peu [1]. »
Et ceux-ci :
« Donnez, méchants, Dieu vous pardonne !
Donnez, ô bons, Dieu vous bénit [2] »
Faites donc l’aumône de trois ou quatre lignes à une pauvre d’esprit, qui n’a pas encore sa part du royaume des cieux, mais qui serait humiliée de laisser sur cette terre une trop grosse trace de sa stupidité dans l’opinion de vos amis en confirmant le préjugé reçu que les hommes de génie n’aiment que les femmes bêtes. La charité.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16381, f. 74
Transcription de Claire Villanueva