Guernesey, 28 mars 1860, mercredi matin, 7 h. ¾
Bonjour, mon cher petit homme ! Bonjour, ne te réveille pas encore car il fait un temps hideux capable de donner le spleen à une huître. Pour moi je ne me tire de l’écueil qu’en t’aimant et en ayant toujours ma pensée fixée sur toi, mon soleil. Je comprends que ce brave M. Busquet ait une fichue opinion de notre climat guernesiais car depuis qu’il est ici c’est à peine s’il y a eu deux ou trois éclaircies dans le brouillard, dans la brume et dans la pluie [1]. Je sais bien qu’il doit faire encore plus vilain ailleurs, mais le mal de l’un ne guérit pas l’hiver prolongé de l’autre. Quant à moi je regrette le beau temps surtout pour toi dont c’est la santé et la joie et par contrecoup pour moi dont tu es le bonheur et la vie. Malheureusement ni toi ni moi ne pouvons rien sur le baromètre du bon Dieu et ce que nous avons de mieux à faire c’est d’accepter le temps comme il nous le donne et je vous aime comme si tous les printemps faisaient chorus avec nos cœurs et nos âmes. J’espère que tu as fait deux ou trois parties de billarda hier au soir avant de te coucher, ce qui aura un peu suppléé à ton passus milleb post prandiumc [2] que tu n’as pas pu PRENDRE [3] et que tu auras passé une bonne nuit bien douce. Cher bien-aimé, je te souris, je te bénis, je t’adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16381, f. 64
Transcription de Claire Villanueva
a) « billiard ».
b) « mile ».
c) « prendium ».