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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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27 janvier [1844], samedi, midi ½

Ô mon adoré, sois béni à jamais pour ta bonne inspiration de tout à l’heure. J’étais, en effet, bien douloureusement préoccupéea quand tu es arrivé auprès de moi. Je pensais au petit nuage de cette nuit. Je pensais à cette pauvre enfant dont la santé reste depuis si longtemps flottante [1] et j’étais triste de cette tristesse intérieure que les larmes ne soulagent pas lorsque tu es arrivé avec ton doux sourire, avec ton regard si caressant et tes paroles si tendrement persuasives, dissiper et chasser toutes ces tristesses et toutes ces craintes comme par enchantement. Ô merci, merci, merci mon Victor toujours plus grand, toujours plus beau, toujours plus noble, toujours plus aimé, toujours plus généreux et toujours plus adoré, merci tu es ma vie.
Pauvre adoré, tu vas être bien péniblement occupé ces deux jours-ci. Je crains pour toi toutes ces émotions et toutes ces fatigues. Tu en es déjà surchargé et je crains qu’à la fin tes forces ne soient au-dessous de ton courage et de ton dévouement.
Ménage-toi, mon bien-aimé, ménage-toi pour tous ceux qui t’aiment, ménage-toi pour moi dont tu es vraiment la vie. Que je n’aie pas l’affreux désespoir de te savoir souffrant loin de moi. Je t’en prie à genoux. J’aurais voulu que tu aies tes bottes neuves, sinon aux pieds, du moins à ta disposition. Je crains pour toi les pieds humides, tu sais combien cela t’est contraire. Tu devrais en venir changer tout à l’heure, ce serait une tranquillité pour moi et une occasion nouvelle de te voir et de te dire que tu es mon Toto adoré et adorable, que je t’aime de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 101-102
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette

a) « préocupée ».


27 janvier [1844], samedi soir, 6 h. ½

Ce que tu éprouves à l’estomac, mon pauvre adoré, n’est autre chose qu’une pression nerveuse qu’il est impossible que tu n’aies pas avec toutes les émotions de ce matin, avec tous les tiraillements d’affaires et de travaux que tu as tous les jours et qui ne te laissent pas un instant de repos [2]. Quand je pense que depuis 48 heures, passées si laborieusement de toute manière, tu n’as pas eu deux heures de sommeil, JE SUIS EFFRAYÉE. Pauvre adoré, il faut que tu aies des forces surhumaines pour résister à tant de fatigues et à tant de secousses si accumulées depuis un an. Je tremble pourtant que tu ne paies ton tribut à l’humanité par quelque maladie. Quelque chose que je fasse je ne puis pas détourner ma pensée de ce danger que ton courage rend tous les jours plus éminent.
Mon Victor bien aimé, je t’en suppliea pour moi, ménage tes forces et ta santé. Prends du repos au nom de tout ce qui t’est cher puisque ma prière ne te suffit pas. Je n’ose pas espérer te voir avant ton dîner ce soir. Je sens bien que tu m’as donné aujourd’hui tout le temps dont tu pouvais disposer. Je te suppliea seulement de ne pas venir aussi tard qu’hier.
Je t’aime, mon Victor adoré. Je t’adore avec ce qu’il y a de plus pur et de plus fervent en moi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 103-104
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette

a) « suplie ».

Notes

[1Claire Pradier, la fille de Juliette, possède une santé très fragile et peine à se remettre de ses indispositions successives.

[2Victor Hugo se rend à l’Académie quasiment tous les jours et doit faire face à de nombreuses responsabilités.

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