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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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31 décembre [1842], samedi matin, 11 h. ¾

Bonjour, mon Toto chéri. Bonjour, mon cher amour. Eh ! bien, la bonne habitude n’a donc pas persistéa ? Vilain méchant, je m’y étais cependant déjà bien [acoquinéeb], cependant vous m’avez avoué hier que les répétitions [1] étaient suspendues pendant quelques temps. C’était bien le moment ou jamais de me rabibocher de mes deux ans et demi de perdus [2]. Mais vous ne savez jamais faire les choses [illis]. Taisez-vous, vous êtes un monstre d’homme. Voici décidément la cocotte, du moins, mon beau frère me l’annonce-t-il pour demain, il la prétend très douce, nous verrons bien. Seulement, il me faut une cage et le port et je doute que j’aie assez d’argent pour ces deux objets sans parler des étrennes de la bonne, de celles du portier ajoutées à son mois cet été. Vilain moment, s’il en fut, et auquel la cocotte aurait bien du ne pas se mêler. Enfin, c’est avec une bonne intention sans doute et c’est ainsi qu’il faut [la prendre ?]. Suzanne est allée chez Claire ce matin, qui l’en avait priée l’autre foisc pour chercher les petits brimborions qu’elle a faits pour cette époque, tu choisiras dedans bien entendu. C’est ce soir que Lanvin me l’amène, je te serai bien obligée, si tu en trouves l’occasion, de lui dire quelques mots sérieux et persuasifs comme tu en sais dire quand tu le veux. Elle en a très besoin. Moi, mon amour, c’est tout le contraire, je ne mérite jamais que vous me grondiez et vous êtes très méchant et très injusted quand vous le faites, témoin hier au soir. Il paraît que nous avons des hauts gradés dans la garde nationale dans notre rue, les tambours battent à qui mieux mieux. Je sais bien qu’est ce qui battra demain, en recevant une certaine petite lettre désirée et attendue pendant trois cent soixante cinq jours de l’année [3], ce sera mon pauvre cœur. Mais c’est encore bien long d’ici là et j’ai le temps de faire comme le père Ledon [4]. Je ferai tout mon possible pour que ce ne soit qu’après l’avoir lue, ma chère petite lettre adorée.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 339-340
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) « persistée ».
b) « accoquinée ».
c) « autrefois ».
d) « injustes ».


31 décembre [1842], samedi soir, 7 h.

On dirait vraiment que le diable s’en mêle quanda il s’agit de sortir, d’être avec toi, d’être heureuse, d’être ravie à ton cher petit bras que j’aime et que j’adore. Mais aussi, qui est-ce qui pourrait penser – exceptéb un affreux Toto comme toi !c – un jour comme celui-ci où toutes les femmes, mêmes les plus libres et les plus désœuvrées ont à faire chez elle, que tu viendrais me chercher pour sortir [5] ! En vérité, il n’y a que toi au monde pour avoir de ces idées SAUGRENUES. Aussi, n’ai-je pas pu m’empêcher d’être triste et furieuse lorsque tu es venu me débarbouiller le nez dans une sortie et bonheur impossibles. Tu aurais bien mérité que je te flanquasse des coups pour t’apprendre à faire de ces genres d’impromptus. Une autre foisd, je n’y manquerai pas, je t’en préviens. Je ne suis pas encore débarbouillée, mais je suis épuisée de fatigue et de poussière. Cependant, je ne dînerai pas auparavant de m’être décrassée. D’ailleurs, Claire n’est pas encore arrivée, ce qui me donne un peu de temps devant moi.
Je te préviens, mon cher amour, que je n’ai plus le moindre papier et qu’il serait fort bête de commencer l’année par une dépense inutile. Tâche de penser à m’en apporter ce soir, mon Toto chéri. Quel dommage que tu n’aies pas pensé ou plutôt, que tu n’aies pas vu ce joli petit livre avant le départ de la caisse. De toute façon, il ne m’embarrasse pas, et viendra en aide à mes générosités forcées de jour de l’an. Tu me conseilleras là-dessus et je ferai ce que tu me diras.
Je finis l’année, mon Toto, sûre comme je l’ai commencée : en t’aimant de toute mon âme. Je prie Dieu que tu en fasses autant pour moi et qu’il te donne toutes les joies de ce monde ainsi qu’à tous ceux que tu aimes.

Juliette

Monstre, je m’aperçois que vous avez oublié une lettre dans la babouche. Je ne sais qui me tient de la jeter au feu.

BnF, Mss, NAF 16350, f. 341-342
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) « quant ».
b) « excepter ».
c) La partie entre tirets est inscrite entre les lignes.
d) « autrefois ».

Notes

[1Les Burgraves sont en répétition.

[2Le voyage normalement annuel qu’elle fait avec Victor Hugo durant plusieurs semaines n’a pas eu lieu depuis deux ans.

[3Victor Hugo écrit tous les ans une lettre à Juliette le 31 décembre.

[4Le coiffeur Ledon est mort subitement quelques jours auparavant.

[5Dans le cadre des « conventions » du couple, Juliette ne sort jamais de chez elle sans Victor Hugo à cette période-là de leur vie.

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