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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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6 septembre [1842], mardi après-midi, 4 h. ¾

Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse ou qu’elle s’emplit, dit le proverbe, c’est ce qui me fait craindre qu’après vous avoir plusieurs fois envoyé à Saint-Prix [1] quand vous étiez à Paris, vous n’y soyez allé définitivement aujourd’hui, ce qui ne m’arrangerait pas du tout. Cependant, je vous ai vu si bien en train de travailler tout à l’heure que je conserve quelque espoir de vous voir revenir ce soir. Ô mon cher bien-aimé, fais cela pour ta pauvre vieille Juju qui t’aime tant et tu ne t’en repentiras pas. Je suis en train de faire mon ménage comme vous dîtes ; et tout en vous écrivant je donne un coup de poing au lit, un coup de balai à la chambre, un coup d’œil à la servarde qui tâche de faire son article le plus sommairement possible. Enfin, je mets le temps à profit le plus que je peux, c’est la seule manière de m’en tirer quand vous n’êtes plus avec moi pour me le faire passer comme une minute de bonheur et de joie ineffable.
Je ne suis pas CURIEUSE, mon amour, mais je voudrais bien savoir quel est le nouveau chef d’œuvre que vous faites dans ce moment-ci [2]. Je respecte votre défense mais vous devriez récompenser MA VERTU en me disant un petit bout de ce qui m’intéresse tant. Je vous en prierai bien fort tantôt, mon adoré, au risque de me faire rabrouer d’importance. C’est égal, je me risquerai avec cette devise en tête : QUI RISQUE RIEN n’a pas de coups de trique. Voilà. Maintenant, baisez-moi, cher petit chinois et ne marchez pas trop pour ne pas faire revenir le fameux accident du suspensoir qui vous suspend de toutes fonctions animales, principales et autres. J’ai mouillé tous les échantillons, pas un ne marque, c’est bon signe et si les autres couleurs ne me conviennent pas et que la mère Ledon me garantisse la solidité de ce gris, je me lâcherai la robe tout du long avec accompagnement de douze ou treize TIGRES A CINQ GRIFFES [3] a dont je vous joins ici un SPÉCIMEN. Maintenant, baisez-moi encore et n’allez pas à Saint-Prix QUE JE NE VOUS LE DISE (il fera chaud alors).

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 117-118
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) Dessin d’un tigre à cinq griffes :

© Bibliothèque Nationale de France

Notes

[1Les enfants de Victor Hugo, ainsi que sa femme, sont partis entre le 24 et le 25 août s’installer pour quelques mois à Saint-Prix dans le Val d’Oise. Victor Hugo va donc régulièrement les y rejoindre.

[2Il s’agit des Burgraves, dont Hugo a commencé une première rédaction du Prologue entre fin août et début septembre. La rédaction du texte définitif de la pièce débutera le 10 septembre 1842.

[3« Tigre à cinq griffes » : nom plaisant donné à une pièce de cinq francs.

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