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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 mars 1837

16 mars [1837], jeudi soir, 7 h. ½

Il y a bien plus d’une heure d’écoulée entre votre menace et son exécution fanfaronne de juge que vous êtes. Heureusement qu’on n’est pas votre dupe et que dans les prétendus pièges que vous tendez aux autres, vous y laissez votre propre queuea. Un homme qui vient de tendre un piège et qui n’est pas très drôle, faut-il que j’aie de la mansuétude pour faire toutes les bêtises que vous exigez de moi avec toutes les tyrannies dont votre affreux sexe est capable. Si jamais je redeviens femme vous verrez que je vous ferai payer tout cela plus cher qu’au marché.
Jour, un petit Toto, jour un petit O. Qu’est-ce que vous faites à présent, qu’est-ce que vous dites et où êtes-vous vieux oto ? Je suis sûre que vous faites le gentil à l’heure qu’il est, et que vous aurez l’effronterie de me dire à moi : je travaille, j’ai travaillé, je vais travailler, menteur, mensonge et menteries, voilà toute la vérité. Le fait est que vous ne travaillez pas du tout, et que vous ne faites que vous étouffer de rire avec des autres que moi. Mais l’heure de la vengeance approche et bientôt elle sonnera sur votre tête coupable un affreux carillon dine, dine, din, din, don, don, dam, dam, dine, din, don, dam, ça t’est égal, vilain scélérat. Que je voudrais te tenir, comme je t’en ferais voir de dures, des baisers par ici, des chatouillements par là et beaucoup de morceaux de viande d’enlevés. Cher petit homme chéri, tu devrais mettre le comble à tes bontés en venant de bonne heure ce soir soit pour dessiner à côté de moi, soit pour me faire sortir, car le temps me paraît bien doux et bien beau et que j’ai besoin d’air et d’exercice.
Je n’ai pas encore eu le temps de me débarbouiller, cependant j’ai toujours trente-six tours, j’allais dire trente-six ans, quelle boulette ! Heureusement que c’est avec toi mon confident et mon meilleur ami, ce qui ne tire pas à conséquence. Mais quel malheur si j’avais laissé échapper cela devant du MONDE. Mon cher petit homme, vous seriez très gentil de m’avoir encore une fois une baignoire à l’opéra soit dimanche, soit unb autre jour, pour y conduire une fois ma pauvre petite Claire qui jusqu’à présent n’a pas eu d’autre régal que SAINT- ANTOINE, ce qui est bien maigre. Jour, un petit Oto, je vous attends avec impatience et bonhommie quoiqu’il y ait bien des chances contraires entre nous, ce que j’appelle dans mon ARGOT LES BARRICADES DE JULIETTE [1].
Je t’embrasse toujours et de tout mon cœur, et je ne pense qu’à toi, et je n’aime que toi et je ne veux que toi dans ce monde et dans l’autre car j’y porterai mon amour si on y admet cette sorte de bagages.

BnF, Mss, NAF 16329, f. 277-278
Transcription d’Érika Gomez assistée de Florence Naugrette

a) Dessin :

© Bibliothèque Nationale de France

b) « une ».

Notes

[1Jeu de mots avec « les barricades de juillet [1830] ». Cette métaphore désigne les règles (qui, telles des barricades, barrent l’accès).

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