Samedi soir, 10 h. 20 m.
Voici qu’il est 10 h. ½ et tu n’es pas venu, mon bon cher Victor. Je n’ai aucune mauvaise penséea, je ne t’accuse pas, seulement je suis triste, et je crains qu’il ne te soit arrivé quelque accidentb fâcheux. Nous sommes dans une si bonne veine. Mon Dieu, que je voudrais t’avoir là sous mes baisers. Comme je serais contente s’il ne t’est rien arrivé de mal. Comme je serais méchante à mon aise si c’est par votre faute que vous n’êtes pas venu. Encore quelques instants et je me déshabillerai pour me mettre au lit, car alors il ne sera plus temps pour aller au théâtre. Je crois même qu’il est déjà trop tard. Ainsi, tout me manque à la fois, ne pas te voir, toi, avec ta jolie petite tête, ne pas voir Angelo [1], ce tyran, l’effroi du Constitutionnelc, et la providence des marchands de bois [2].
On frappe. Si c’était toi, quelled joie j’aurais. Mais non, ce n’est pas toi. Je continue d’être triste et de t’aimer.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16324, f. 223
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « aucunes mauvaises pensées ».
b) « quelqu’accident ».
c) « constituionnel ».
d) « quel ».