Guernesey, 9 juillet 1860, lundi matin, 9 h. ½
Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour au son de la musique en PLEIN VENT du packet [1] qui va partir tout pavoisé pour je ne sais quelle excursion de plaisir. Le manque de soleil et peut-être pas tout à fait assez de sécurité pour la mer fait que je regrette moins pour nous que nous n’en puissions pas être ce matin. D’ailleurs nous avons eu notre petit contingent de bonheur à Jersey il y a bientôt un mois [2] et nous n’avons pas le droit de nous plaindre. Mais tout cela ne me dit pas comment tu as passé la nuit, mon cher bien-aimé, et c’est ce qui m’intéresse le plus en ce moment. Je t’ai vu tout à l’heure entrouvrant frileusement ta fenêtre et j’avais envie de te héler pour te demander si tu avais fait un bon somme mais le CANT m’en a empêchée. J’espère que tu as bien dormi et que tu n’as plus de mal de tête. Eh ! voilà le sifflet de la vapeur qui part et qui a l’air de siffler un mélodrame d’Anicet-Bourgeois [3]. Quel vacarme ! Bon voyage, braves gens, amusez-vous bien et revenez sains et saufs à tous ceux qui vous aiment. Moi, pendant ce temps je vais aimer mon Toto d’un cœur et d’un pied ferme et je ne serai pas la moins joyeuse de vous tous. Juliette
BnF, Mss, NAF 16381, f. 179
Transcription d’Amandine Chambard assistée de Florence Naugrette