Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1839 > Octobre > 28

28 octobre [1839], lundi matin, 11 h. ½

Bonjour, mon cher petit bien-aimé, bonjour, mon bon petit homme. Je t’attends, mon cher adoré, c’est bien triste. J’aimerais mieux te baiser. Je ne suis pas dégoûtée, comme tu vois. J’ai envoyé la bonne chez Jourdain ce matin pour savoir s’il viendrait à coup sûr aujourd’hui. Il a fait dire qu’il ne pourrait venir que demain mardi. J’ai vu le propriétaire ce matin mais il n’avait pas les quittances du loyer, il les enverra et y joindra en même temps l’acquit de la cheminée. Tout cela se monte à 201 francs 5 que j’ai mis de côté ainsi que l’argent pour le bois, 115 francs, plutôt plus que moins, j’ai payé la bonne, j’ai fait quelques petites provisions indispensables. Bref, il me reste 130 francs sur lesquels j’aurai à payer le vin aujourd’hui. Cependant tu pourras emporter les 100 francs restant, je serai encore sur le VELOURSa. Quant au compte du mois d’août, j’y trouve un déficit de 85 francs et quelques sous mais comme j’ai tout écrit et que je n’en ai pas mis dans MA POCHE, je ne m’inquiète pas autrement, pensant que c’est dans tous les triquemaques d’argent qu’il y aura eu erreur de chiffre. Si vous n’êtes pas content, baisez-moi et prenez un autre factotum. Je me ruine à tenir votre maison, ainsi il n’y a pas de presse. Baisez-moi, vieux vilain. Pensez à moi, aimez-moi et ne recevez pas de femme. Je suis triste au fond du cœur. Si j’osais, je ferais des choses hideusesb à ma carcasse. Je me trouve si malheureuse déjà depuis que je suis revenue que je n’ai plus de courage pour le reste. Je t’aime trop.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16339, f. 267-268
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « VELOUR ».
b) « hideuse ».


28 octobre [1839], lundi soir, 5 h.

Voilà une journée bien noire et bien triste qui vient de s’écouler, mon cher adoré. Il aurait suffi que tu vinssesa me voir pour en faire une journée rayonnante mais tu t’es si soigneusement éclipsé que je suis la plus malheureuse et la plus ennuyéec des femmes. Ce n’est pas que ma journée n’aitd été employée, bien loin de là, mais toutes les occupations du monde ne remplissent pas le vide que ton absence fait dans ma vie. Enfin me voilà revenue sans transition de la joie au chagrin de l’amour au désespoir, du ciel d’AVIGNON à celui de Paris, de la vie à la mort. Tout cela sans nuances, sans préparations, brusquement comme la tempête et le malheur. Autrefois c’était par gradation que je perdais ma joie. Ton monde était à la campagne, tu y allais le jour mais les nuits étaient pour moi. Ce n’étaite pas tout, ce n’était pas assez car jamais je ne t’ai eu assez, car pour cela il faudrait que je puisse t’avoir en même temps depuis que tu es au monde jusque dans l’éternité, mais enfin c’était beaucoup tandis qu’à présent je n’ai plus rien. Ni ton corps, ni ta pensée car occupé, fêté, courtisé comme tu l’es.

Lundi, 8 h. du soir

Tu m’as interrompue fort à propos, mon adoré, car j’étais en train de broyer du noir en me persuadant que tu ne pouvais plus penser à moi, c’est-à-dire ne plus m’aimer. Aussi, mon adoré, quand je t’ai vu arriver, il m’a semblé voir entrer le Bon Dieu. C’était de la joie et du soleil qui m’arrivaient. Malheureusement ce bonheur a été trop court mais tu vas revenir, n’est-ce pas. J’y compte bien. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16339, f. 269-270
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « suffit ».
b) « vinsse ».
c) « ennuiée ».
d) « n’est ».
e) « n’étaient ».

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne