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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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12 mars 1853

Jersey, 12 mars 1853, samedi matin, 10 h.

Bonjour, mon bien-aimé, bonjour, mon bonheur d’autrefois, bonjour, mon amour de toujours, bonjour. Je sors de mon lit pour te dire ce petit bonjour bien tendre et bien reconnaissant. Car depuis que je t’ai quitté hier, ma migraine, contenue jusque-là par le bonheur dans les limites du possible, est devenue tout à coup intolérable et je n’ai eu que le temps de me coucher bien vite en rentrant, sans même pouvoir dîner. Malgré cela je n’en aia pas moins vomi une partie de la nuit. Mais, grâce à Dieu, m’en voici débarrasséeb, il ne me reste plus que beaucoup de courbaturesc.
Quelle ravissante promenade hier, mon adoré ! Quelle délicieuse journée ! Quel charmant bonheur ! Il me semblait sentir à travers toutes les odeurs du printemps le parfum de tous nos joyeux souvenirs d’amour. Et dans mon cœur plein de sève je sentais remuer et germer toutes les douces espérances et la radieuse confiance d’autrefois. Désormais pour moi le 11 MARS sera le vrai anniversaire du printemps, quelles que soientd les prétentions du calendrier. Car hier j’ai senti refleurir pour la première fois depuis longtemps toutes les douces illusions de mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 251-252
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « je n’en n’ai ».
b) « débarassée ».
c) « courbature ».
d) « quelque soit ».


Jersey, 12 mars 1853, samedi après-midi, 2 h.

Quel dommage que l’âme n’ait d’ailes qu’après la mort ! Comme j’enverrais la mienne à vos trousses, mon adoré, si au lieu d’être la chrysalide de mon cœur elle en était le papillon comme dans le paradis. Il me semble que ça n’est pas mal féaudisiaque [1] ce que je vous dis là. Je m’arrête court dans cette poésie de mercière retirée et de vieille fille à lunettes. Mes moyens ne me permettent pas de continuer sur ce ton longtemps. Je reprends donc mon petit gribouillis terre à terre dans lequel je vous aime tout crûment et sans la moindre prétention au beau style et aux mirlitons académiques. Vous ressemblez beaucoup, mon cher petit filou, dans vos répartitions de plaisir avec moi, aux enfants qui partagent des noix ou des dragées : un pour moi, un pour toi, un pour moi, un pour moi, un pour toi, un pour moi, un pour moi, etc. Cette manière de partager peut satisfaire la goinfrerie du partageur mais fait grincer des dents au partagé qui se reconnaît lésé, lésé et parfaitement léséa. Quant à moi je ne vous ferai grâce d’aucun : un pour moi, et regarderai de très près les un pour toi. Vous pouvez être tranquille à partir d’hier un pour moi en continu, aujourd’hui un pour toi. Nous verrons à qui du toi ou du moi vous donnerez la journée de demain. Je vous préviens que j’ai les yeux tout grands ouverts et l’attention sous les armes. Prenez garde à ce que vous ferez. C’est déjà beaucoup trop que vous me teniez les dragées si hautes que je ne puisse les agripper qu’avec tant de peine sans encore que vous les donniez à d’autres à mon nez de Juju et à la barbe des Téléki de tousb poils et à plusieurs cornes.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 253-254
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « lézé ».
b) « touts »

Notes

[1Néologisme formé sur le nom de Mlle Féau.

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