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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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10 mars 1853

Jersey, 10 mars 1853, jeudi matin, 8 h.

Bonjour, mon pauvre bien-aimé, bonjour. Je t’aime. Voilà la fin et le commencement de toutes mes pensées, le but de toutes mes actions, même celles qui paraissent y faire obstacle, et le principe de ma vie. Si je ne t’aimais plus, je sens que je ne vivrais pas. Il y a des côtés de mon cœur un peu meurtris et qui me font souffrir quand on y touche, même à bonne intention, mais les cris de douleur que cela me fait jeter ne devraient jamais être interprétésa par toi comme l’expression d’un stupide et lâche découragement de notre exil. Je ne regrette rien, je ne désire rien qui ne soit pas le moyen de t’aimer davantage et celui de m’assurer que tu m’aimes comme je t’aime, en dehors de tout devoir, de toute RECONNAISSANCE, de tout RESPECT HUMAIN, de toute PITIÉ. Si je regrette les rares passants de mon intérieur, c’est parce que je n’ai plus personne en qui épancher le trop-plein de mon cœur. Si je remarque tes absences de plus en plus longues, c’est que je crois y avoir un refroidissement. Si je m’en plains souvent avec amertume, c’est que je sens que mon bonheur et ma vie tiennent à ce seul fil, ton amour. Enfin si je suis violente et méchante comme un âne, c’est que je t’adore comme une bête au risque d’en crever. Voilà ma profession de foi et mon excuse en échange de toutes les RESTITUS……b QUE VOUS ME DEVEZ.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 243-244
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain
[Guimbaud]

a) « interprété ».

b) Six points de suspension.


Jersey, 10 mars 1853, jeudi après-midi, 1 h.

Quel beau temps, mon petit homme, et que votre petit Charlot est bien avisé d’en profiter aujourd’hui pour essayera de faire votre portrait [1]. Car il n’est pas dit que demain je n’aurai pas l’outrecuidance de vous prier de poser pour moi pendant toute une bonne longue petite promenade au soleil. Aujourd’hui, je n’ai pas réclamé pour vous éviter l’ennui, l’ennui de vous rencontrer avec le citoyen Guayb, mais je vous avoue que je crains de n’avoir pas demain la même attention délicate et la même discrétion philosophique. Je sens qu’un peu de soleil sur mon dos et un peu de bonheur dans mon cœur me feraientc grand bien. Aussi, je crois que je serai très difficile pour ne pas dire féroce à l’endroit des mauvaises raisons que vous me donnerez pour vous dispenser de l’affreuse corvée de me faire prendre l’air comme à un vieux bonnet à poil trop longtemps oublié dans son étui. Apprêtez-vous, mon cher petit blagueur, à tenir une de vos cent milliardsd de promesses et aimez-moi d’aplomb si vous pouvez. Moi je vous adore sans BALANCER.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 245-246
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « esseyer ».
b) « Guai ».
c) « ferait ».
d) « milliardes ».

Notes

[1Un atelier de photographie est aménagé au rez-de-chaussée de Marine Terrace, dans une pièce sombre ouvrant sur la serre, dès le premier hiver passé par le clan Hugo à Jersey. L’idée de départ est d’illustrer Napoléon le Petit et les ouvrages à venir par des portraits de Victor Hugo. Dans son Journal, Adèle Hugo, la fille du poète, mentionne à la date des 22 et 23 novembre 1852 : « Nous faisons du daguerréotype. On fait le daguerréotype de mon père pour Les Contemplations et aussi pour les Vengeresses : la première est calme et lève les yeux au ciel, la seconde est furieuse », Sheila Gaudon, Correspondance entre Victor Hugo et Pierre-Jules Hetzel, tome I (1852-1853), Paris, Klincksieck, 1979, p. 238, note 5. « La famille possédait toute une galerie de portraits dans la salle à manger de Marine Terrace et en exécutait pour ses proches sans oublier Juliette Drouet qui accueillait chaque nouvelle image de son bien-aimé avec une ferveur toute religieuse », Françoise Heilbrun et Danielle Molinari (dir.), En collaboration avec le soleil, Victor Hugo, photographies de l’exil, Paris, Musée d’Orsay, Maison de Victor Hugo, 1998, p. 44.

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