Guernesey, 12 juillet, [18]70, mardi, 2 h. ¼, après-midi
Cher grand, généreux adoré, je ne suis pas encore remise de ma confusion, de l’inepte et ingrate plaisanterie que j’ai faite hier soir ; et tant que je ne l’aurai pas démentie devant tout le monde, je ne me la pardonnerai pas. En attendant, j’en suis triste et honteuse comme d’une mauvaise action, et c’est bien fait, car je n’ai que ce que je mérite. À cette disposition d’esprit vient s’ajouter la nouvelle de la mort de la seconde fille de notre hôtesse de Bruxelles, Mme Marcy. La pauvre jeune femme était mariée depuis neuf mois seulement et allait être mère quand le typhus l’a enlevée. C’est sa sœur aînée qui me l’écrit, pensant avec raison que je compatirais à sa douleur et à celle de sa famille. Je compte lui écrire, car je ne connais rien de plus navrant que la mort prématurée d’un être jeune et charmant comme l’était la pauvre femme qui vient de mourir. Elle avait à peine 21 ans. Je n’insiste pas davantage sur ce malheur irréparable pour les parents que nous connaissons à peine. Surtout dans le moment où tu as le bonheur d’avoir auprès de toi presque tous tes chers enfants bien portants et heureux [1]. J’espère qu’ils ne s’aperçoivent pas trop des lacunes du service de Suzanne et d’Henriette [2]. J’en jugerai un peu par moi-même ce soir. Mais, d’ici là, tu serais bien gentil de venir me voir en revenant de faire ton petit passus. Il paraît que Petit Georges et Petite Jeanne ont redoublé de gentillesse et de grâce tous les deux à déjeuner. Chers petits anges, je leur souris et je les bénis autant que je t’aime et que je t’adore.
BnF, Mss, NAF 16391, f. 190
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette