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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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18 décembre [1839], mercredi soir, 4 h.

Oh ! par exemple, mon Toto, voilà un tour pendable que vous venez de me jouer avec votre petit air saintea Nitouche : me faire habiller, me faire mettre en quatre pour être prête en même temps que vous et vous me laissez là. Toto, Toto, la joue vous démange, mon amour, et j’ai bien envie de vous la gratter avec un bon baiser orné de griffes et de dents. Je suis furieuse contre vous, c’est très mal à vous d’attraperb une pauvre femme confiante qui ne vous a jamais fait de mal. Fi, fi, fi. Il faudra que vous veniez diantrement déjeuner coup sur coup pour vous faire pardonner la cacafouille de tout à l’heure. Aussi vous ne serez pas nommé demain, ce sera Casimir qui le sera [1]. C’est bien fait et je vous tire la langue ainsi que vous voyezc. Nous sommes tous les deux très ressemblantsd quoiqu’un peu [illis.]. Monstre que vous êtes, vous n’avez pas honte d’avoir abusé une pauvre malheureuse femme innocente au sortir de son lit. Fi, vous devriez rougir jusque dans le fin fond de votre paletot. Je dirai à tout le monde que vous, vous avez und orgue de Barbarie dans votre chemise qui joue des airs tout seul et sans qu’on lef tourne. Je le dirai, je le dirai, soyez tranquille. Désormais on ne vous représentera plus que sous la forme de Borée, dieu DES VENTS, ça vous apprendra à me faire faire des tours de force inutiles. Soyez tranquille, vous y perdrez plus que vous n’y gagnerez et tous les vents du monde auront bien de la peine à enfler la voile de bonne réputation, de charmant jeune homme que vous aviez si indignement usurpéeg. Taisez-vous, monstre, et inclinez-vous devant une femme justement indignée. Baisez-moi, rebaisez-moi encore et encore et vous ne parviendrez qu’à moitié à désarmer ma haine et ma fureur. Voici la nuit noire. Je me dépêche de finir cette lettre.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16340, f. 173-174
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « St ».
b) « attrapper ».
c) Dessin :

© Bibliothèque Nationale de France


d) « ressemblant ».
e) « une ».
f) « la ».
g)« usurpé ».


18 décembre [1839], mercredi soir, 7 h. ¾

Je suis arrivée juste, mon Toto, au moment où Mme Pierceau et son fils allaient se mettre à table ; j’ai dînéa et je t’écris pour mon dessert. Il est vrai que je vous avais déjà écrit à la maison une grosse lettre presque entière [2] mais comme je vous le dis, mon Toto chéri, c’est pour mon dessert que je veux vous gribouiller cette belle feuille de papier blanche. J’avais commencé avec la plume en fer du petit Pierceau mais je n’ai pas pu continuer avec ce genre d’instrument. Je viens en outre de verser une carafeb d’eau dans l’encrier. Surtout mon bon petit homme, aiec bon soin de n’avoir pas les pieds mouillés et de bien croiser ton paletot sur ta poitrine. J’ai vraiment du remords de t’avoir amené si loin de chez toi et par un temps si hideux. Aussi, mon bon chéri, je t’en prie sérieusement, prends garde de t’enrhumer. Jour mon To. Je parle de toi, je pense à toi, j’aime toi, j’adore toi. Je voudrais bien être à demain à cette heure-ci. Depuis que je connais le vrai état des choses pour toi, j’ai une impatience atroce que ce soit fini demain mais fini fini quelle qued soit la nomination pourvu que ce soit définitif. C’est en partiee pour cela que je t’ai prié de m’amener chez la mère Pierceau car le temps ce soir m’aurait paru éternel au lieu que nous allons la tirer à deux, cette soirée, et elle nous paraîtra plus courte peut-être, mais je suis sûre que si vous veniez vous mettre dans le brancardf, nous irions au galop et que la soirée me paraîtrait trop courte, alors tâche de venir bientôt mon Toto, car je t’aime, mon adoré, et je suis tourmentée par l’idée de te savoir errant de ce temps-ci et par le besoin de te voir.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16340, f. 175-176
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « diner ».
b) « caraffe ».
c) « aies ».
d) « quelqu ».
e) « parti ».
f) « brancart ».

Notes

[1Casimir Bonjour est le rival de Hugo à l’Académie française.

[2La lettre précédente n’avait pas occupé tout l’espace du papier : la quatrième page n’avait été remplie qu’à moitié.

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