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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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3 décembre [1839], mardi après-midi, 1 h.

Je ne vous dirai pas bonjour, mon petit bien-aimé, puisque j’ai eu le plaisir de vous voir, mais je vous dirai : « Viens » car je t’aime, car je souffre, car j’ai besoin de te voir, car je t’aime. J’ai un mal de tête si excessif que je viens de prendre unea espèce bain de pied. Je suis tout abasourdie, je ne sais pas ce que je fais encore moins ce que je dis, je suis très près d’être une imbécile quoique je sois déjà folle… de vous. Mme Guérard m’a écrit une lettre absurde d’un bout à l’autre, elle prétend qu’elle ne veut pas quitter son mari soit qu’il reste chez lui ou qu’on la place dans une maison de santé, parce qu’elle lui doit tout, parce qu’il l’a aimée et qu’il l’aime encore à travers sa folie et elle n’appelle pas ça du dévouement. Sa lettre est presque aussi décousue que la raison de son mari. La pauvre femme se ressent de ce voisinage d’abrutissement, témoin la réclamation qu’elle veut que je fasse à Mme Krafft. Au reste, je ne lui en veux pas et je me trouve presque aussi bête qu’elle précisément à cause de la raison inverse : les extrêmes se [illis.] comme tu sais et on devient aussi inepte dans la compagnie d’un sublime Toto comme toi que dans celle d’un crétin comme Guérard. Mon Dieu, plaisanterie et comparaison à part je ne sais pas ce que je t’écris. J’ai la tête si douloureuse que je sens que je déraisonne. Pour me remettre dans la voie et être sûre de ne pas me tromper, je finirai ma lettre par le seul mot que je sens depuis la racine de mes cheveux jusqu’à mon orteil : je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16340, f. 119-120
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « un ».


3 décembre [1839], mardi soir, 4 h.

Je suis très contente, mon Toto, de sortir avec toi parce que c’est un moment où je t’ai et que lorsque tu ne me fais pas sortir je reste seule au coin de mon feu pendant que tu reçois ou que tu travailles. Il m’est tout à fait indifférent d’aller à droite ou à gauche chez Mme Pierceau ou ailleurs pourvu que je sois avec toi, c’est tout ce qu’ila me faut. Au reste, ce n’est pas du luxe que cette sortie car j’avais bien mal à la tête et que j’espère que ça me fera du bien. C’est vrai que tu es déjà en retard et que rien n’est moins sûr que ma promenade mais je tiendrai compte de ta bonne volonté. Je n’allume pas la lampe dans la crainte que tu n’arrives au moment où je l’arrangerais. Toute ma vie se passe comme ça, entre le zist et le zest attendant toujours. Je ne crois pas qu’il y ait de position plus pénible pour le corps et l’esprit que cet état-là et il ne faut rien moins que l’amour passionné et ardent que j’ai pour toi pour me donner le courage de la supporter. Soir Toto. Je n’ose pas te prier de venir cette nuit car c’est une raison pour que tu ne viennes pas. Il faudrait pour que j’aie quelque chance de t’avoir plus souvent que j’affecte de l’indifférence, mais je ne m’entends pas à jouer cette comédie-là. Et malgré que j’en aie, je laisse voir mon amour dans toute sa plénitude et avec toute son impatience et tous ses désirs. Tâche de venir cette nuit et pense que je ne me plains que parce que je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16340, f. 121-122

Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « qui ».

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