Guernesey, 31 octobre 1860, mercredi, 5 h. ½ du soir
Encore en retard, mon cher bien-aimé, et pourtant je suis levée depuis dix heures, c’est-à-dire avant le jour. Mais tu ne saurais croire tout ce que j’ai eu à faire depuis ce matin jusqu’à présent. Mais je t’entends, te voilà, quel bonheur ! J’aime mieux, cent milliards de fois mieux, te voir, te parler, te baiser, t’adorer que de te gribouiller n’importe quelle stupide tendresse.
8 h.
Je reprends mon gribouillis où je l’ai laissé mais sans espoir cette fois de le voir interrompu par toi aussi agréablement que tantôt. Mais je trouve encore très doux, à défaut de ta chère petite personne que je préfère à tout, de te rabâcher à distance tout ce qui me passe par le cœur et par la tête et à ce sujet je te demanderai si tu es aussi innocent que tu le dis de la disparition de la fleur [1] si coquettement provocatrice de la trop provocante Marie de Solms [2] (Née bonaparte wysea) ? Déjà vous m’avez caché la précédente lettre, à cette écrivassière enragée, laquelle contenait, à ce qu’il parait, de tendres confidences auxquelles vous vous êtes hâté de répondre. Tout cela est grave, si vous ne m’aimez plus, mais comme j’ai la fatuité de croire le contraire je vous pardonne et je m’en fiche et je vous baise et je vous adore.
BnF, Mss, NAF 16381, f. 229
Transcription d’Amandine Chambard assistée de Florence Naugrette
a) « Wayse ».