30 janvier [1836], samedi matin, 9 h. ½
Bonjour mon cher adoré, je suis bien mécontente contre vous mon cher petit homme, il n’est pas permis d’abuser à ce point de la crédulité d’une femme qui vous aime. Que vous est-il donc arrivé que vous n’êtes pas venu après m’avoir tant promis que je vous verrais ? Vous ne savez pas, vous, parce vous ne sentez pas l’amour aussi vivement que moi, combien vous m’avez fait de peine en me manquant de parole. Je suis très triste ce matin et je vous aime comme à l’ordinaire, de toute mon âme.
Je suis un peu souffrante ce matin ; je ne sais pas si ce temps-là n’y est pas pour quelque chose, mais j’ai un mal de tête à n’y pas voir clair. Si vous étiez venu cette nuit, ça ne serait pas arrivé. Vous voyez bien, mon cher petit homme, que vous avez été doublement méchant en ne tenant pas votre promesse. Je vous cache depuis le commencement de ma lettre un soupçon affreux qui n’a fait que croître depuis que je vous écris : c’est que je crois que vous êtes allé au bal cette nuit et que contrairement à nos conventions vous y serez entré et de là, vous aurez été raccroché, intrigué et retenu jusqu’au matin où vous serez rentré chez vous sans avoir eu le temps de venir chez moi. Je vous avoue, mon cher bien-aimé, que cette idée n’est pas assez impossible pour que je ne m’en tourmente pas beaucoup jusqu’à ce que je vous aie vu. Je vous aime, MOI. Je vous aime bien à fond.
Je serai bien triste et bien contente si vous ne m’avez pas trahie cette nuit.
J.
BnF, Mss, NAF 16326, f. 51-52
Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa
30 janvier [1836]a, samedi soir, 9 h.
Pauvre cher petit Toto, tu n’es pas revenu, tu auras encore été pris par une conversation longue et fatigante et qui t’aura fait mal. Je voudrais déjà t’avoir revu pour savoir comment tu vas. Je voudrais t’avoir auprès de moi pour te caresser et te soigner bien comme il faut.
Mon Dieu que je t’aime mon pauvre cher bien-aimé. Je voudrais te donner mes yeux, mes entrailles, et ma vie. Je voudrais te servir. Je voudrais bien des choses……
Je voudrais t’empêcher de travailler surtout quand tes pauvres yeux et tes chères petites entrailles sont aussi malades qu’aujourd’hui.
Je te demande, mon cher bien-aimé, si j’ai été injuste envers toi tantôt, mais je croyais vraiment que tu avais passé la nuit au bal. Pardon, mon cher petit homme adoré. Pardon si j’ai été injuste et soupçonneuse à tort. C’est que je t’aime, vois-tu. Je t’aime ! Tâche de venir de bonne heure, mon chéri, je te soignerai bien, je te dorlotterai bien, je te caresserai bien et je ne vous ferai pas prendre de Négasseck [1] puisque vous n’en voulez pas prendre. Mais je vous ferai prendre beaucoup d’amour, beaucoup de caresses et beaucoup de tendresses parce que j’ai de tout cela beaucoup.
J.
Médiathèque de Fougères, sans cote
Transcription de Florence Naugrette
a) Ajouté d’une autre main : « 1835 ou 1836 ». Pour plusieurs raisons concordantes, la datation de 1836 n’est pas douteuse [2].