Guernesey, 21 novembre, [18]65, mardi matin 7 h. ½
Déjà levé, mon pauvre piocheur ! Je n’ose pas t’en féliciter car je crois que c’est une grave imprudence pour ton œil non guéri encore [1]. J’espère que tu as au moins passé une bonne nuit pour te lever si matin ? Mais d’ici à ce que j’en sois sûre, ma pensée renouvellera bien souvent cette interrogation avec une inquiète sollicitude. Tu m’as dit de te faire penser à l’exemplaire de et je m’en acquitte en même temps que de celui de Luthereau dans le cas où tu l’aurais oublié [2]. Je te fais souvenir aussi d’apporter du papier. Je vous fais souvenir encore de m’aimer, toute affaire cessante, et de m’en donner la preuve ZOZO D’EMS [3]. J’espère que tu auras un bon courrier tout plein de bonnes nouvelles aujourd’hui. Le temps, assez tempêtueux cette nuit, s’est calmé ce matin. Je commence à trouver le temps long pour l’arrivage de nos COLIS…MAÇONS probablement [4]. Je lâche ce moellon sur vos tuiles de verres, tirez-vous-en comme vous pourrez [5]. Nous avons les Marquand à dîner ce soir, c’est à dire pas de Quesnard [6], en revanche nous aurons peut-être le citoyen Duverdier demain comme petit change. Quant à moi qui n’ai besoin que de toi, je suis assez indifférente à tous ces allants et venants de ta connaissance que j’accueille de mon mieux pour te faire plaisir et si tu es content, je suis contente. Je vais te faire du café tantôt. Bien que tu sois en avance, tu ne l’es pas assez pour que j’ajourne plus d’un jour à te faire ta ration. Je m’aperçois que je ne te dis que des niaiseries sans queues ni têtes et que je ferais mieux de ne te rien dire du tout pour te forcer à RÊVER LE RESTE. Je me hâte donc d’en finir avec ce gribouillis stupide par un trait de Génie : JE T’AIME. JE T’ADORE.
BnF, Mss, NAF 16386, f. 182
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette