Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1835 – Lettres datées > Décembre > 15

15 décembre [1835], mardi matin, 10 h. 10 m.

Bonjour, mon adoré petit homme. Je vous aime de toutes mes forces. Et vous, m’aimez-vous comme je vous aime ? Avez-vous passé une bonne nuit ? Vous m’avez fait une bien jolie grimace hier au soir, à laquelle j’ai répondu comme si vous aviez pu me voir, effet d’attraction. Je suis revenue me mettre au lit en riant encore plus fort de votre grande bouche ouverte jusqu’à la gorge. J’ai lu un peu de journal, ce qui n’est pas amusant. Puis, j’ai soufflé ma bougiea et je me suis endormie dans votre pensée chérie. Je viens de me réveiller, de faire allumer mon feu et je vous écris depuis ce temps-là tout ce qui me passe par la tête et par le cœur.
J’ai demandé à cette odieuse créature pourquoi elle avait tenu sa chandelle allumée, et pourquoi elle t’avait dit que c’était pour quelque chose. Elle m’a répondu qu’elle avait oublié d’éteindre sa lumière, et qu’elle ne t’avait pas dit qu’elle l’eût conservée pour quelque chose. Voilà toute l’explication que j’ai pu en tirer. Au reste, tu pourras t’en expliquer avec elle.
Je vous aime mon Toto. Je m’en veux chaque fois que vous ou moi sommes assez bêtes pour empoisonner les courts instants que nous passons ensemble.
Je vous aime comme il n’est pas possible d’aimer pourtant.
Mon cher adoré petit homme, j’ai à mon cou votre petit talisman qui n’a rien perdu de sa vertu et de sa bonne odeur depuis un an. C’est d’un bon augure, n’est-ce pas ? C’est comme mon amour depuis trois ans.

J.

BnF, Mss, NAF 16325, f. 221-222
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « ma boujie ».


15 décembre [1835], mardi soir, 8 h. ¾

Certainement, mon cher bien-aimé, tu as bien fait de revenir, n’importe pour quelle raison. Mais ce qui a gâté ta bonne apparition, c’est la question que tu m’as faitea sur l’emploi de mon temps, lorsqu’il était visible que je l’avais employé honnêtement.
Tu t’étonnes sans doute de me voir prendre plus vivement aujourd’hui que les autres jours l’inquisition à laquelle je me suis soumise. Je te dirai, mon pauvre ange, que je n’en sais rien, pas plus que l’invalide qui sent mal à sa jambe coupée comme si elle tenait encore à lui. Moi, j’ai mal aussi très souvent à une vie passée qui ne tient plus à ma vie d’à présent. J’en souffre aussi, non pas à cause des variations de la température, mais à cause des variations de ton amour qui me semble de jour en jour plus froid et plus brumeux. Si je me trompe, pardonne-moi et plains-moi. Si je ne me trompe pas, comme il est presque certain, dis-le moi, je t’en serai reconnaissante à cause de ta sincérité. Vois-tu, mon pauvre ami, je ne peux pasb croire que ta jalousie soit autre chose qu’une défiance injurieuse pour tous les deux. Je t’observe depuis plus de six mois et je vois bien que tu m’aimes de jour en jour moins, quoique cependant ta surveillance devienne de jour en jour plus inquiète et plus active. Si j’étais bien sûre de ce que je soupçonne, je ne t’en dirais pas tant. Je partirais à l’instant même et jamais tu n’entendrais parler de moie. Mais cependantc, si tu m’aimais, si je me trompais, ce serait affreux pour tous les deux. Et alors, je reste, aimant mieux être haïe et méprisée de toi plutôtd que d’encourir le risque de te faire un chagrin.
Voilà, mon pauvre ange, dans quelle disposition d’esprit et de cœur tu m’as trouvée ce soir, ce qui t’explique pourquoi j’ai mal accueillie ta question, tout en te remerciant de ta présence.
Vois-tu, j’ai la tête et le cœur très maladesf. Si tu n’y prends pas garde, tu seras surpris et envahig par ce mal-là au moment où il ne dépendra ni de toi ni de moi de l’arrêter. Je te dis cela honnêtement et avec l’intime conviction que cela t’est bien égal. Pourvu que je sois à toi, rien qu’à toi, que t’importe que je souffre, que t’importe que je sois heureuse.

J.

BnF, Mss, NAF 16325, f. 223-225.
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
[Massin]

a) « tu m’as fait ».
b) « je ne pas peux ».
c) Une croix en bas à droite de la quatrième page, que l’on retrouve en haut à gauche de la cinquième page.
d) « plustôt ».
e) « acceuillie ».
f) « malade ».
g) « envahie ».

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne