Guernesey, 6 novembre, [18]65, lundi matin, 7 h. ¾
Bonjour, mon adoré petit homme. COMMENT LA NUIT [1] ? Bonne, j’espère, aussi bonne que la mienne qui a été excellente d’un bout à l’autre. Il y a huit jours, à pareille heure, nous n’aurions pas pu en dire autant l’une de l’autre [2]. Ce qui prouve une fois de plus que les nuits, comme les jours, se suivent et ne se ressemblent pas. Pas plus que les vents, car celui de ce matin me paraît à souhait pour les bateauxa qui viennent d’Angleterre, mais terrible pour ceux qui y vont. Heureusement pour nous, nous ne sommes plus dans l’un ni l’autre cas. Car le meilleur n’en vaut rien quand on a le mal de mer. Je ne sais pas pourquoi je te rabâche ces lieux communs que tu sais mieux que moi et qui ont l’inconvénient d’êtres sales et de tenir de la place. J’aurais bien mieux à faire si je laissais jaboter mon admiration sur les merveilles des Chansons des rues et des bois [3], mais j’ai la lâcheté de laisser dire les autres qui ont bec et plume à leur service, pendant que moi je n’ai que mon amour que je mets à la fois sous tes pieds et sur ta tête comme le soleil que l’on met dans les gloires et dans les ascensions des prophètes et du Christ. Il est permis à tout le monde d’admirer la grandeur et la splendeur sublime de ton génie. Moi seule je peux t’aimer et t’adorer de tous les amours à la fois.
BnF, Mss, NAF 16386, f. 167
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette
a) « bataux ».