Guernesey, 5 novembre [18]65, dimanche matin, 7 h. ¾
Bonjour, mon cher petit homme, bonjour, ne vous réveillez pas. Je sais trop ce que c’est qu’un bon somme venu à point pour ne pas respecter celui-ci. Dors, mon adoré, et rêve que je t’aime pendant que mon cœur fonctionne dans la réalité. J’espère que ton sommeil ce matin n’est pas la revanche de l’insomnie de cette nuit et qu’au contraire il en est la prolongation du sommeil et je m’en réjouis. Voilà donc le premier nœud Marquand-Kesler dénoué, reste celui de Kesler-Marquand qui ne sera pas aussi facile, je le crains [1]. Mais du reste, comme la chose peut très bien aller comme cela, je ne m’en inquiète pas.
Je n’ai pas pu te dire hier qu’il serait facile de faire notre petit déménagement pendant l’absence des servantes qui seront à la grand-messe jusqu’à midi [2]. Pour cela il faudrait que tu vinsses avant leur retour, ce qui n’est guère probable n’étant pas prévenu. Mais d’ailleurs cela n’a pas d’importance. Je monterai le marchepied tout près pendant qu’elles n’y seront pas et elles n’auront qu’à le redescendre si je ne veux pas le faire moi-même sans qu’elles s’en doutent. Je sens que je te barbouille un tas de choses fastidieuses et oiseuses pendant que j’ai le cœur débordant de tendresse qui ne demande qu’à prendre forme et couleur pour aller à toi. Mais il est trop tard et je résume le tout dans un seul mot : je t’aime.
BnF, Mss, NAF 16386, f. 166
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette