23 avril [1842], samedi matin, 9 h. ¼
Mon cher petit bien aimé, je t’embrasse sur ton petit bec rose. Comment le petit garçon a-t-il passé la nuit [1] ? Bien, je l’espère. Moi, j’ai dormi comme une marmotte jusqu’à ce matin, j’étais horriblement courbaturée hier. L’événement en question et la course du soir m’avaient horriblement fatiguée. Ce matin je ne m’en sens plus et j’irais au bout du monde avec vous. Il fait un temps à manger tout vif et rien ne serait plus charmant qu’un voyage si nous pouvions en faire un, ce qui n’est pas probable avec les malades et les maladies qui nous obsèdent depuis le premier janvier [2]. Moi, je suis très décidée à me laisser crever d’amour et de bonheur rentrés si je ne fais pas mes deux mois de voyage cette année [3]. Maintenant ça ne me regarde plus, tant pis. C’est à toi, mon Toto chéri, à faire le rôle de la bonne providence dans lequel tu excellesa quand tu veux. Moi je suis à bout de mon courage et de ma résignation. Mais je t’aime de toute mon âme.
Clarinette est furieuse, elle prétend que tu l’as volée comme dans un bois et qu’elle ne se fiera plus désormais à toi et qu’elle te fera payer d’avance. Voilà pourtant à quoi vous vous exposez car toutes les péronnelles ne sont pas d’une aussi bonne pâte que moi. Enfin, elle est furieuse, voilà le fait. Moi, je suis enragée mais ce n’est pas pour la même chose c’est pour …… ce que vous savez … qui vous savez … [4] parfait mais ça commence à m’embêter supérieurement, voilà. Taisez-vous, méchant homme, vous êtes un monstre.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16348, f. 307-308
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette
a) « excelle ».
23 avril [1842], samedi après-midi, 4 h.
Vous venez peu à la fois, mais aussi vous venez très rarement, c’est ce qui en fait le charme pour vous et le hideux pour moi. Si j’étais derrière vous, je ne serais pas si patiente et je vous donnerais de si fameuses volées qu’elles vous feraienta prendre la vôtre du côté de la rue Saint-Anastase [5] plus vite que ça. Vous pouvez y compter. Comment va Toto [6] ? Il me semble, au désir que j’en ai, qu’il doit bien aller aujourd’hui et que tu dois être hors d’inquiétude. Je voudrais bien cependant en être sûre autrement que par intuition. Il fait un temps exquis et je n’en profite pas. Quel malheur !!!!!! Pour me venger, je me suis fait acheter notre bonne aventure à moi et à Claire pour la somme de deux sous. Vous y verrez votre portrait d’après nature, scélérat, et très ressemblant au physique et au moral. Quant à Clarinette, on lui a prédit une rentrée d’argent avant quarante-huit heures. Cela veut dire qu’elle ne vous fera pas crédit au-delà de ce terme, ainsi apprêtez vos fonds [7]. Baisez-moi monstre, perfide, faux ami et dépêchez-vous de venir me trouver. Je viens d’envoyer chercher des [illis.] au quai aux Fleursb pour en ombrager mes croisées, cela coûte en [gros ?] deux ou trois sous le pied et il m’en faut 6 pieds en tout. On ne peut pas avoir de fût à meilleur marché. D’ailleurs, si vous me meniez promener tous les jours comme c’est votre devoir, je ne penserais pas au jardinage. C’est votre faute, tant pisc pour vous. J’ai une petite ouvrière très gentille et très propre. Je crois qu’elle travaille bien et elle a l’air honnête, toutes qualités précieuses et assez rarement réunies chez ces sortes de FAUMES. Je ne vous conseille pas de lui faire la cour si vous tenez à vos yeux.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16348, f. 309-310
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette
a) « qu’elle vous ferait ».
b) « au fleur ».
c) « pire ».