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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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29 octobre [1835], jeudi matin, 10 h. ¾

Bonjour, mon bien-aimé, je ne sais que penser de ton indifférence envers moi car il m’est bien démontré que ce n’est plus l’apparition de ton livre [1] qui te retient loin de moi mais une raison tout aussi impérieuse que celle-là : c’est que tu ne m’aimes plus autant que tu m’aimais il y a un an. Je m’en aperçoisa par mille indices que tu ne prends pas la peine de me cacher. Aussi suis-je fort triste et fort en peine de ce que je ferai de ma vie si ce malheur-là se confirme comme il n’en faut guère douter.
Tu dois penser, mon cher enfant, que ces pensées ne sont pas très efficaces pour mon mal de tête. Aussi suis-je tout à fait au même point qu’hier au soir, c’est-à-dire que je souffre beaucoup. Je suis encore dans mon lit ne sachant pas si je me lèverai.
Je reviens malgré moi sur la pensée que tu m’aimes moins qu’autrefois. Je cherche dans ma conduite depuis un an ce qui a pu te refroidir pour moi. Je ne la trouve pas car depuis cette dernière année, jamais je ne t’ai donnéb, du moins d’une manière fondée, aucun sujet de plainte contre moi. J’ai été ce que je devais être. Bonne, résignée, confiante et par-dessus tout cela, je t’ai aimé de toutes les forces de mon âme, bien plus que je n’avais jamais fait. Que te faut-il donc et à quoi attribuer ce refroidissement visible que tu as pour moi ?
Je ne te tourmenterai pas longtemps si j’acquiers la triste certitude que tu ne m’aimes plus ou que tu m’aimesc moins, ce qui m’est tout à fait égal [2].
Je te le répète, je ne te tourmenterai pas longtemps.

J.

BnF, Mss, NAF 16325, f. 60-61
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « apperçois ».
b) « donnée ».
c) « que tu même ».


29 octobre [1835], jeudi soir, 8 h.

Pardon, mon cher bien-aimé, pardon, mon noble ami, pardon. Pardon à genoux. J’ai été deux fois coupable aujourd’hui envers toi et je l’ai été les deux fois par jalousie et parce que je croyais que tu ne m’aimais plus autant. Va, je souffrais bien dans ces deux moments-là où je te soupçonnais. Mais à présent, je ne souffre plus que de mon repentir. Je crois que tu m’aimes. J’ai foi en l’avenir. Je suis heureuse et si tu étais auprès de moi dans ce moment-ci, je serais gaie. Mon Dieu que je t’aime ! Mon Dieu que je suis jalouse ! Mon Dieu que je t’aime ! Voilà dans quel ordre ces deux sentiments sont disposés dans mon cœur : l’amour d’abord, après la jalousie et par-dessus encore l’amour. Il n’est pas étonnant que je sois de temps en temps injuste et méchante envers toi mais toutes mes méchancetésa sont bien vite effacées et recouvertes par l’amour.
Il est absurde que je te parle encore de cette ignoble Grisi [3] mais c’est que ce soir encore elle m’a fait le plus affreux dîner qui se puisse trouver dans toutes les gargotesc de Paris y compris celles de la banlieue. De plus, cette fille paraît s’être donnéd pour tâche de me mettre en colère. Mais je tiens bon.
À bientôt, mon ange, mon Victor, mon Toto. Je suis très triminel mais je vous aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16325, f. 62-63
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « méchancetées ».
b) « grisé ».
c) « gargottes ».
d) « s’être donnée ».

Notes

[1Le recueil Les Chants du crépuscule est paru le 27 octobre 1835.

[2Il faut comprendre par « ce qui m’est tout à fait égal » non pas que le désamour de Hugo lui serait indifférent, bien au contraire, mais que pour elle, aimer moins et ne plus aimer reviennent au même (comme le suggère la faute d’orthographe « m’aime » - « même »).

[3Grisi est peut-être le surnom de cette gargotière, fondé sur le patronyme des artistes Carlotta, Ernesta, Giuletta et Giulia Grisi.

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