Guernesey, 18 novembre [18]68, mercredi matin, 8 h.
Cher bien-aimé, je continue de faire la grasse matinée tous les jours pendant que tu piochesa dès l’aurore tous les matins, ce qui est absurde, tout bonnement. Ce qui ne l’est pas moins, c’est de te faire la même rengaine tous les jours avec la certitude de n’obtenir de ta part aucun changement à tes habitudes de forçat volontaire. Je le sais et j’y reviens sans cesse malgré cela, parce que ma sollicitude est toujours tournée vers toi, car tu es le pôle nord de mon cœur. J’espère que, pour être courte, ta nuit n’en aura pas été moins bonne, ce qui me tranquillise un peu. Il fait toujours beau et froid. Un bon temps pourvu que tu pensesb à te faire faire du feu et à tenir tes pieds chauds. Si j’étais auprès de toi, je passerais mon temps à déjouer toutes tes imprudences hygiéniques. Mais à distance, je ne peux que rabâcher et Dieu sait que je m’en acquitte sans vergogne. Je n’ose pas revenir sur la collation [1], quoique j’en ai bien envie. Mais l’obsession a des bornes et la mienne s’arrête là. C’est bien assez de t’aimer avec un acharnement immuable.
BnF, Mss, NAF 16389, f. 317
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « tu pioche ».
b) « tu pense ».