Guernesey, 25 juin 1868, jeudi matin, 7 h.
Cher adoré, je t’ouvre mon cœur, avant d’ouvrir tout à fait mes yeux que le sommeil tient encore presque fermés bien que j’aie dormi comme une SOUPE depuis le moment où je me suis couchée jusqu’à présent. C’est ce qui s’appelle rattraper les nuits perdues avec intérêt et usure. Mais pendant que je me vante de mon pionçage carabiné, peut-être que de ton côté tu as eu une forte insomnie, ce qui ne me ferait pas rire, au contraire, et rabattrait singulièrement mon caquet. Je mets donc quelques sourdines à mes hâbleries soporifiques en attendant que je sois sûre que nous sommes à deux de jeux dans cette partie de traversin. Je vais faire prévenir ta Marie que tu veux déjeuner à midi précis afin qu’elle ne te fasse pas attendre. Quand donc reprendrons-nous la collation de ton terrible livre [1] ? Il me semble que Mme Chenay doit être très en avance et moi je suis sûre d’être très avide de connaître le sort de tous ces êtres hideux et splendides.
BnF, Mss, NAF 16389, f. 176
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette