Paris, 13 juin [18]74, samedi soir, 4 h.
Cher bien-aimé, Mariette assure que tu es sorti depuis déjà longtemps, ce que je n’ai pas de peine à croire à la tristesse ambiante qui m’enveloppe depuis deux heures. Il est vrai que la préoccupationa de tout ce qui se passe depuis trois jours n’est pas faite pour inspirer une folle gaîté à personne, les bonapartistes exceptés, qui espèrent repêcher un empire dans l’eau sale d’un coup d’État [1]. Je n’en serais pas autrement affectée si je ne craignais pour toi le chagrin d’une séparation momentanée de tes chers petits-enfants. Cette possibilité me trouble plus que je ne puis le dire et je voudrais être bien sûre qu’il n’y a rien de fondé dans ma crainte pour assister froidement à cette politique d’injures et de voies de faits qui se passe, en ce moment, du consentement de tous les partis, pour le plaisir et pour le bonheur de tous les porte-couronnesb de l’univers. Mais voici ta ravissante et irrésistible Petite Jeanne qui me met en demeure de jouer aux poupées avec elle, ce que je fais avec empressement, en la remerciant de m’apporter cette innocente diversion à mes vieux tourments. Qu’elle soit bénie et toi aussi autant que je vous adore.
BnF, Mss, NAF 16395, f. 108
Transcription de Véronique Heute assistée de Florence Naugrette
a) « préocupation ».
b) « portes-couronnes ».